Classer, Dominer by Christine Delphy

Classer, Dominer by Christine Delphy

Auteur:Christine Delphy [Delphy, Christine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Français, Politique, Psychologie
Publié: 2012-02-17T13:54:04+00:00


Les présupposés de l’alibi de la libération des femmes ou le paradoxe du missionnaire

Mais quelques jours après que j’ai eu rédigé la première version de ce texte, cette décision et ses présupposés colonialistes ont été formulés explicitement dans une tribune libre du Monde[48] : « Franz Xaver Kroetz ne peut-il pas concevoir que les femmes afghanes […] voient dans les soldats américains (sic) [49] des libérateurs plutôt que des preneurs d’otages ? L’idée que la liberté puisse avoir un prix élevé, qu’elle puisse même valoir de risquer sa propre vie, semble incompréhensible à plus d’un ami de la paix. » Contrairement aux apparences, la « propre vie » dont parle l’auteur de cet article n’est pas la sienne. Au moment même où il dit que la liberté des femmes afghanes vaut le sacrifice de leur vie, il leur dénie cette liberté : c’est lui qui fait ce « choix » pour elles. Cette contradiction ne lui est pas propre ; elle imprègne toute l’attitude occidentale vis-à-vis des Afghanes, parce qu’elle est, plus généralement, le principe organisateur de l’attitude des dominants vis-à-vis des dominé-e-s.

Je voudrais proposer une règle simple de morale internationale qui peut valoir aussi entre les personnes : on n’a pas le droit de prendre des décisions, surtout héroïques, quand d’autres que vous vont en supporter les conséquences. La seule population qui peut décider qu’une guerre vaut le coût, c’est celle qui subit ce coût. Or ici, celle qui a décidé la guerre ne subit pas la guerre, et celle qui subit la guerre n’a pas décidé la guerre. Pour l’instant, la guerre humanitaire n’a pas tenu ses promesses. Les femmes afghanes sont sur les routes, sous les tentes, dans les camps, par millions. Avant la guerre, quatre millions et demi d’Afghan-e-s vivaient dans des camps de réfugié-e-s au Pakistan et en Iran. Depuis, d’autres encore ont fui devant les bombardements américains. Leur nombre exact n’est pas connu, car beaucoup de ces personnes se cachent par crainte d’être refoulées ; on estime néanmoins que le Pakistan et l’Iran en comptent respectivement 700000 et 300000 de plus. Mais celles qui sont le plus en danger, et les plus difficiles à compter, sont les « personnes déplacées de l’intérieur » qui, essayant simplement d’échapper aux bombes, ont suivi la ligne de front dans le pays et sont aujourd’hui dans des camps improvisés, sans nourriture et sans protection contre les hommes armés. À ce jour, en raison de la partition du territoire en fiefs contrôlés par les troupes mal nourries des chefs de guerre, « soldats le jour et bandits la nuit », l’aide internationale n’arrive pas jusqu’à ces personnes. Quand les organisations ne renoncent pas à l’acheminer, elle est détournée par les bandes armées.

Beaucoup de réfugiés – surtout parmi les « déplacés de l’intérieur » et les populations des hauts plateaux, privées depuis septembre d’aide alimentaire à cause de la guerre et maintenant isolées par la neige – sont mortes ou vont mourir[50]. Comme dans toutes les guerres et toutes les famines, ces morts comprendront un nombre disproportionné de femmes.



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