Chroniques du hasard by Elena Ferrante

Chroniques du hasard by Elena Ferrante

Auteur:Elena Ferrante [Ferrante, Elena]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2020-01-17T16:00:00+00:00


NOUVEAUTÉS LITTÉRAIRES

21 juillet 2018

J’ai eu une phase, heureusement finie depuis longtemps, où j’ai cru que si un récit n’était pas totalement nouveau, si l’on pouvait le comparer à autre chose qu’à lui-même, il était bon à jeter. Il s’agissait là d’une attitude très présomptueuse et, en même temps, très naïve. Elle reposait sur l’hypothèse non formulée que j’étais douée de capacités extraordinaires et que, si ces capacités ne se manifestaient pas dans des œuvres absolument et délicieusement uniques, je devais en conclure, en toute lucidité : soit que je me trahissais moi-même par paresse et facilité, soit que mon hypothèse de départ était complètement infondée. Bref, inutile d’écrire si je n’étais pas en mesure de produire des textes meilleurs et, en même temps, totalement différents des livres que j’aimais et qui étaient à l’origine de mon envie frénétique de raconter. Avec le temps, j’ai changé d’avis. Aujourd’hui, j’accorde peu de confiance à ceux qui disent : « Voilà un livre vraiment nouveau. » De vraiment nouveau, en littérature, il n’y a rien d’autre que notre façon très personnelle d’utiliser le réservoir de la littérature mondiale. Nous sommes imprégnés de tout ce qui nous a précédés. Je ne fais pas référence ici aux manuels scolaires qui alignent chronologiquement des auteurs avec leur vie et leur œuvre, des origines à nos jours, ni même à la liste détaillée de nos lectures depuis l’âge de sept ans. Il n’y a pas un avant dont nous serions l’après. Toute la littérature, qu’elle soit bonne ou médiocre, nous est contemporaine, et elle se presse autour de nous pendant que nous écrivons, elle est l’air même que nous respirons. Par conséquent, nos pages ne sont jamais « nouvelles » dans le sens que l’industrie culturelle donne à cet adjectif. Elles constituent au contraire la trace de la manière dont, que nous le voulions ou non, nous nous sommes nourris de la tradition afin d’exprimer – à l’intérieur d’elle – notre individualité. Aucun auteur, à lui tout seul et sans avoir de dettes, n’épuise la littérature en produisant ses textes. Il n’existe pas d’œuvres qui coupent net avec le passé, d’œuvres qui font abstraction du passé, d’œuvres qui marquent un tournant décisif. La nouveauté littéraire – si l’on tient vraiment à ce concept –, c’est la façon dont chaque individu habite le magma qui l’entraîne. Se distinguer est donc une tâche très ardue, et peut-être même pas vraiment nécessaire. Je suis toujours surprise par les auteurs qui, par provocation, exhibent leur propre « nouveauté », qui se considèrent uniques et qui ne veulent admettre aucune influence. C’est faire preuve de superbe spectaculaire vis-à-vis des médias, ou c’est manifester de la terreur à la perspective de ne pas avoir une individualité propre, comme si celle-ci ne pouvait s’exprimer qu’en niant la matière littéraire qui nous a constitués, et qui nous constitue encore. En réalité, même Homère n’a jamais été « nouveau ». Il est probable que tout auteur prenne forme, chaque fois, grâce à un effort de réorganisation du matériau littéraire qui le précède – et ça, ce n’est vraiment pas rien.



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