Chevalier by Unknown

Chevalier by Unknown

Auteur:Unknown
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


VII

Chacune de nous, au couvent, se voit attribuer une pénitence particulière, un moyen approprié de faire son salut. À moi la tâche est échue d’écrire des histoires : elle est lourde, si vous saviez ! Dehors, c’est l’été brûlant de soleil ; une rumeur de voix et d’eaux courantes s’élève de la vallée. Ma cellule est tout en haut, sous les combles ; à travers la lucarne, j’aperçois la courbe du fleuve où de jeunes villageois nus se baignent ; un peu plus loin, derrière un bouquet de saules, des filles qui, elles aussi ont retiré leurs vêtements et descendent vers la rive. Un des garçons qui nageait sous l’eau vient juste de sortir la tête pour les regarder ; les filles se le montrent en poussant des cris. Dire que je pourrais être là-bas, moi aussi, en aimable compagnie, avec des jeunes gens de ma condition, avec mes dames et mes valets ! Hélas, notre sainte vocation nous commande d’oublier les joies furtives de ce monde pour quelque chose qui ne passe pas. Qui ne passe pas… Comme si ce livre même, et tous nos gestes de piété, accomplis d’un cœur de cendre, n’étaient pas déjà cendre eux aussi… Cendre, comme jamais ne le seront ces gestes sensuels, là-bas, dans le fleuve, ces gestes où la vie palpite et se propage comme cercles sur l’eau… On se met à écrire avec élan, et puis il vient une heure où notre plume ne gratte plus qu’une encre poudreuse, où ne circule plus une goutte de vie ; la vie tout entière s’en est allée, elle est au-delà, au-delà de cette fenêtre, au-delà de nous-mêmes ; alors, il semble que plus jamais on ne pourra chercher refuge dans la page qu’on écrit, ouvrir à travers elle un univers autre, et, d’un bond, s’y jeter. Peut-être cela vaut-il mieux ; peut-être, quand on écrivait de bon cœur, ce n’était ni miracle ni grâce, mais simplement péché, orgueil, idolâtrie… Donc, j’en suis affranchie ? Non pas ; à ce métier d’écrire, au lieu de me rendre meilleure, j’ai seulement dilapidé un peu d’impatiente, insoucieuse jeunesse. Que me vaudront ces pages malcontentes ? Livre et vœux, cela ne vaudra qu’autant que tu vaux. Il n’est pas dit qu’en écrivant on assure le salut de son âme. On écrit, on écrit, et déjà notre âme est perdue.

Alors vous voudriez que j’aille trouver la Mère Abbesse ? Que je lui demande de me donner un autre ouvrage, de m’envoyer tirer l’eau du puits, filer le chanvre, écosser les pois chiches ? Ça ne changerait rien. Je persévérerai dans mon emploi de nonnain livrière, du mieux que je pourrai. À présent, il me faut raconter le banquet des paladins.



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