Chaminadour by Jouhandeau Marcel

Chaminadour by Jouhandeau Marcel

Auteur:Jouhandeau, Marcel
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française
Éditeur: Gallimard/Quarto
Publié: 2006-09-14T16:00:00+00:00


IX

JÉRICHO-LOREILLE

Dès qu’on eut appris quel usage restreint les Tite-le-Long faisaient de leur maison et de leur jardin, un Jéricho-Loreille qu’on appelait tantôt le Père Loreille ou Jéricho tout court, nouvellement riche du fait de la guerre, vint gravement proposer au Commandant de lui acheter « le Colombier ». Il s’engageait à « laisser aux Tite-le-Long, la vie du Commandant et de Mme Tite-le-Long durant, l’entière disposition des locaux dans lesquels ils s’étaient présentement volontairement retirés, pourvu qu’ils lui abandonnassent tout le reste de l’immeuble et les terres y attenant ».

Le marché fut conclu devant notaire dans les termes dits.

Une vente publique sépara bientôt les Tite-le-Long de la plupart de leurs meubles. Plusieurs générations avaient réuni les richesses qu’en trois coups de son marteau d’ivoire le commissaire-priseur dispersa aux quatre coins de la ville. Sabine avec mélancolie pensait qu’elle ne pourrait plus entrer chez personne, sans appréhender d’y être accueillie par un objet dans l’intimité duquel elle avait vécu. Elle souffrait pour elle-même de tout ce qui demeurait d’elle dans ces souvenirs, à cause des promiscuités qu’ils l’obligeraient à partager avec eux.

La maison vide, la veille du jour où les Jéricho-Loreille devaient prendre possession du « Colombier », comme Sabine regardait de la fenêtre de sa chambre d’autrefois le jardin où elle avait grandi parmi le désordre des plantes et dont l’accès allait lui être interdit, l’épicer entra comme chez lui. Il demandait qu’on lui permît de déposer des matériaux et des instruments de travail dans le potager. Sans se donner la peine de se retourner, Sabine répondit que son père, le Commandant Tite-le-Long, était propriétaire du jardin jusqu’au lendemain premier mars, à midi :

— « Votre matériel peut bien attendre. »

Et dès que l’épicier fut parti, elle dit à ses sœurs :

— « Montons et faisons le sac du jardin. »

Elles arrachaient les plantes rares qu’elles entassaient dans des paniers pour les faire porter au laitier ; elles en transplantaient d’autres dans des pots qui enrichiraient le jardin d’hiver de leur mère. Elles coupaient les arbres, les arbustes à la racine et on les liait en fagots, pour en faire du feu.

Les voisins de leurs fenêtres contemplaient le désert que les bras de ces filles sauvages laissaient derrière elles.

Cependant quand il n’y eut plus rien debout, quand on eut tout piétiné, dépouillé, quand on eut défiguré les massifs, ce ne fut pas encore assez. Sabine imagina d’ouvrir les portes de la basse-cour pour que la volaille se gorgeât de tout ce qu’on avait laissé de graines sur le sol.

Ainsi, une terrible inimitié éclatait déjà entre les Tite-le-Long et les Jéricho-Loreille qui allaient le lendemain habiter sous le même toit.

Mais ce ne fut qu’après que les Jéricho-Loreille eurent installé leurs meubles au-dessus de la tête des Tite-le-Long que ceux-ci comprirent toute l’humiliation qu’ils s’étaient infligée à eux-mêmes, si pour faire des économies de loyer, le Commandant Tite-le-Long en était réduit aux proportions d’un Portier.

Souvent, en effet, il arrivait qu’on sonnât pour les Loreille qui n’avaient pas fait installer par chicherie ou pour accentuer l’équivoque un timbre pour eux. Alors, si c’était Mme Tite-le-Long qui venait ouvrir, elle se mordait les lèvres jusqu’au sang, avant d’indiquer la porte des autres.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.