Cette année s'envole ma jeunesse by Jean-François Beauchemin

Cette année s'envole ma jeunesse by Jean-François Beauchemin

Auteur:Jean-François Beauchemin
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 978-2-7644-1709-6
Éditeur: Québec Amérique


PRINTEMPS

Presque tout ce que j’ai cultivé a développé de profondes racines, s’est épanoui, puis a fait mûrir un fruit. Ma chance ne m’a jamais quitté : même les échecs, les pertes, presque tous les renoncements furent un combustible pour mon bonheur. Je pensai beaucoup à cela en avril, quand je retournai pour la première fois la terre autour de la tombe, afin d’y planter quelques fleurs. Cette boue que je remuais eut inspiré les esprits cyniques : les moins subtils d’entre eux n’y auraient vu qu’un lit, le dernier où tout homme se couche. Je ne me contentais pas de cette façon trop facile de réfléchir, qui est comme une faillite de la pensée. J’étais plus patient que cela et, comme il m’arrive toujours, je cherchais dans les choses un sens plus profond, parce que je ne voyais rien dans l’existence qui justifiât la banalité, la paresse du cynisme. Je préférais encore percevoir de la beauté dans les quelques œillets que je repiquai dans le sol recouvrant l’urne. Je ne m’étais pas fatigué du charme secret du monde, de son mystère si vaste et pourtant riche de visibles symboles. Je songeais aux beaux mots de Baudelaire : La Nature est un temple où de vivants piliers/Laissent parfois sortir de confuses paroles/L’homme y passe à travers des forêts de symboles/Qui l’observent avec des regards familiers. Je comprenais cela complètement.

Ce printemps ne fut pas encore une fête, comme l’avaient été la plupart de ceux que j’avais connus. Je gardais mes réflexes : à sept heures du soir, je m’attendais toujours à ce que le téléphone sonne et qu’une voix familière me donne des nouvelles. Lorsque je retournais à la maison familiale, je restais un moment étonné, en entrant, de ne plus voir ma mère apparaître au bout du couloir.

Mais le soleil fut vite plus chaud. Je vis à nouveau la chienne dormir sur l’herbe : le temps recommença à n’être pour elle que le lent glissement d’une ombre sur un mur, un roulis de vêtements mis à sécher sur une corde. De la terre montait l’habituelle profusion d’effluves et d’or. L’eau sur les lits de roches avait repris ses courses immuables. Le vol même des oiseaux perdait sa dureté, cessait de ressembler à cette blanche ligature laissée sur le ciel quand il fait froid. J’assistais avec une joie pensive à ces mensonges. Car tout ne renaissait pas : je ne verrais plus ma mère s’asseoir à midi sur son balcon pour écouter le chant de quelque oiseau.

Je relus pour la millième fois certains passages de la Bible. Vingt-cinq années au moins s’étaient écoulées depuis que j’avais commencé à chercher ce que tant d’autres ont découvert sur le papier fin du livre sacré. Mais je n’y retrouvai comme toujours que les mêmes belles impostures. J’avais senti qu’on me mentait lorsque, pour la première fois, on m’avait parlé du Christ. J’avais en rentrant de l’école questionné mes parents à ce sujet. J’ai refusé la réponse insensée qu’eux-mêmes me firent à propos de cet homme faiseur de miracles, et qu’on disait revenu d’entre les morts.



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