Ce pays qui est le mien by Didier Leclair

Auteur:Didier Leclair
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 978-1-771200-08-0
Éditeur: Les Éditions du Vermillon

***

Le silence remplaça la musique habituelle. Il conduisait prudemment et laissait passer les chauffeurs pressés qui roulaient à vive allure sur la chaussée glissante. Quelques Torontois hébétés par l'alcool voulaient lui faire signe. Le froid semblait retenir leurs mains dans leurs poches. De toute façon, Apollinaire ne se serait pas arrêté. Le lanterneau sur le toit était éteint. Il s'imagina Norbert au chevet de sa fille gravement malade. Son cousin devait avoir gratté ses fonds de tiroir avant de l'appeler. Il se sentait obligé de venir à son secours même si Adèle s'y opposait. Son frère était en détresse mais il y avait davantage. Il voyait dans cette aide financière une preuve des liens qui l’unissaient à Norbert. La preuve qu'il appartenait encore à une famille. C'était important pour lui de se sentir membre à part entière d'un groupe, si loin soit-il. Depuis combien de temps dérivait-il comme une chaloupe abandonnée ? Il avait levé l'ancre et suivi un chemin incertain avec l'intention la plus sincère de jeter cette même ancre sur une terre où il se sentirait chez lui. Or, il se rendait compte qu'il avait plié bagage sans jamais accoster un rivage. Quelque part dans son parcours, il avait fait naufrage. Mais où ? L'immigrant reçu prit l'aspect de l'immigrant déçu. Il avait vu fondre toutes ses aspirations dans l'indifférence bureaucratique et le refus catégorique d'un establishment qui ignorait pourtant tout de lui, de ses rêves, de sa dévotion. Ses sept années d'études ne comptaient plus, ou si peu. Les nuits blanches passées à étudier, le ventre creux. Rien n'avait d'importance, ni les notes de premier de sa promotion ni les prix d'excellence. Il avait fallu, malgré tout cela, traverser un champ miné. Examens après examens, évaluations et soumissions. Apollinaire n'avait jamais vu le bout du tunnel. Que faisait-on dans un champ de mines quand on savait qu'on n'allait pas atteindre la fin du cauchemar ? On courait dans tous les sens comme un coq décapité. Apollinaire voyait les années se suivre et disparaître. Dans sa course folle, désespérée, personne ne pouvait l'arrêter. Même pas Adèle.

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