Ce chasseur-là by Pelot Pierre

Auteur:Pelot Pierre [Pierre, Pelot]
La langue: fra
Format: epub
Tags: SF
Éditeur: Presses Pocket
Publié: 1985-04-15T00:00:00+00:00

VII

ILS gardaient le silence, chacun d’eux enfermé dans un mutisme à sa taille. Chacun dans sa bulle.

Aux commandes du snow-cat 4, Modred Callings se donnait tout entier à la conduite de l’engin – et d’ailleurs, Reyk était bien forcé de le reconnaître, ne se débrouillait pas si mal… mieux : il faisait preuve d’une habileté certaine, il y prenait plaisir. Visiblement, il connaissait cette mécanique, jonglait très efficacement avec les barres de direction qui commandaient les quatre chenilles motrices. À n’en pas douter, il connaissait aussi le terrain.

Après l’avoir surveillé un moment, Reyk se dit qu’il n’aurait pas fait mieux. Bonne chose : les « grosses têtes » des labos se révélaient donc capables de fonctionner ailleurs que derrière leurs machines à écrans : ils pouvaient utiliser leurs muscles et leurs mains, se hisser au niveau de n’importe quel conducteur professionnel d’engin des neiges. Parfait.

Ouais… seulement cette perfection faisait lever en lui, parallèlement, les vagues affleurements d’un trouble encore mal défini. Comme une interpellation sournoise, au fond de lui ricanant. Puisqu’ils se débrouillaient si bien et qu’ils avaient l’air, en plus, de connaître parfaitement leur itinéraire, pourquoi diable avaient-ils besoin de lui et de ses pseudo-services de guide ?

Bien entendu, Berne lui avait fourni, très officiellement, LA réponse. Ils avaient besoin de lui pour le final de la mission, accessoirement en cours de trajet, mais principalement quand ils toucheraient au but : là-haut, dans les contrées périphériques de Thulé, lorsqu’ils établiraient le contact avec les sauvages errants qui avaient fait leur réapparition chez les civilisés. Très bien… Et pourtant, il ne pouvait empêcher cette pointe de doute de lui griffer un coin de cerveau.

Il se tenait assis sur la banquette arrière du snow-cat, parmi les caisses de matériel, provisions de bouche, munitions et armes… Il ne manquerait plus que ce Callings aux trois quarts chauve se révèle également un as à la carabine… qu’il soit aussi un vrai chasseur, face à un ours blanc… (Et alors, Reyk, n’était-ce pas mieux que de le découvrir lamentable et totalement inefficace ?) Il était assis, enfermé dans son silence, secoué comme un de ces ballots dont il partageait la position – un peu plus secoué : on n’avait pas pris la précaution de l’arrimer, lui…

Quant à elle, elle occupait la place voisine du conducteur, bien droite, les mains posées sur la barre d’appui qui jaillissait sous l’avancée métallique du tableau de bord. Les multiples épaisseurs de sa tenue protectrice ne gâtaient rien de sa sveltesse, ni de cette élégance naturelle, un peu animale, qui accompagnait chacun de ses mouvements. Il n’était pas utile de continuer à l’imaginer en hauts talons et bas résille pour que son charme agisse : les clichés fantasmatiques étaient hors de propos. Elle aurait pu tout aussi bien se balader en tenue de pompier ignifugée : elle n’aurait probablement rien perdu de cette grâce qui l’accompagnait partout.

Le capuchon bordé de fourrure de sa parka était baissé. Elle portait une cagoule de soie beige, gonflée par la masse de ses cheveux, qui ne laissait voir que l’ovale de son visage, du sommet du menton au milieu du front.

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