Catherine Cusset by À vous

Catherine Cusset by À vous

Auteur:À vous [À vous]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2016-01-04T15:44:44.211000-04:00 JF
Éditeur: Gallimard
Publié: 2014-04-13T03:00:00+00:00


Quand je débarque à l'aéroport Kennedy ce 22 février il y a un an et demi, je suis épuisée. Les turbulences atmosphériques ont rendu le voyage pénible. Je suis une des premières à passer la douane. Dans la foule, je cherche Edo du regard. Il n'est pas là. Je ne l'ai pas prévenu de mon retour. Hier soir, j'avais mes bagages à faire, je n'ai pas eu le temps d'appeler. Ce matin, c'était encore la nuit à New York. Et je ne voulais pas parler à Edo devant mes parents, à qui j'ai dit qu'il était malade et me demandait de revenir. Ils sont tristes que je les quitte mais une si longue séparation d'avec Edo les inquiétait, ils peuvent maintenant l'avouer. À Kennedy, le car part dans trois minutes, j'ai juste le temps d'acheter mon billet et de franchir la porte vitrée. L'air glacé me fait éternuer. Des murailles de neige bordent les trottoirs. À cinq heures moins dix il fait presque nuit. Je monte dans l'autocar bleu au nom pompeux de Connecticut Limousine. Quand le car franchit le pont de Whitestone, je reconnais au loin les hautes tours du Bronx, les milliers de petits points dorés qui dessinent de longs rectangles scintillant dans la nuit. Je sais à l'avance le nom des villes que nous passons, indiqués sur les panneaux verts des sorties, Greenwich, Stamford, Westport, Fairfield, Bridgeport. Je reconnais la station où Edo s'arrête pour prendre de l'essence, le McDonald au grand M jaune illuminé où il s'achète le Double Cheese Burger Deluxe qu'il avale en deux bouchées, et tous les néons rouges, orange, des Kentucky Fried Chicken et des Dunkin Donuts. Le car quitte l'autoroute, il me laisse sur le parking vide, devant l'hôtel Howard Johnson éclairé par un néon orange. Il y a un taxi : une chance. Je saute dedans. Je guide le chauffeur à gauche, puis à droite au feu, puis à gauche à la fourche, puis à droite, et à droite encore. Je regarde les maisons dont certaines sont encore décorées d'une orgie de guirlandes lumineuses deux mois après Noël, les pelouses sans barrières recouvertes de neige. En descendant du taxi, je glisse sur la glace, je pousse un cri, je me rattrape de justesse, je ris. Mes chaussures parisiennes sont mal adaptées. Le taxi s'éloigne. Je respire l'air glacé, le mélange iodé de sapin, de neige et de mer. Je suis chez moi. Chez nous.

La petite voiture bleue se trouve dans la contre-allée, entièrement recouverte de neige glacée comme si Edo ne l'avait pas utilisée depuis longtemps. Je remarque soudain que les fenêtres de la maison sont toutes sombres. C'est étrange, à sept heures. Je traîne ma valise, pas à pas, sur la glace de la contre-allée, et je monte prudemment les marches glissantes qui mènent à la porte de la cuisine. J'ouvre la porte, j'appuie sur l'interrupteur. Le spectacle m'arrache un cri. Une vaisselle sale de plusieurs semaines s'empile dans l'évier, sur les plaques à gaz et les comptoirs en formica.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.