Carnets Clandestins by Nicolás Giacobone

Carnets Clandestins by Nicolás Giacobone

Auteur:Nicolás Giacobone [Giacobone, Nicolás]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier & Thriller
Éditeur: Sonatine
Publié: 2020-02-01T16:00:00+00:00


Fichier Word non protégé

Des cailloux dans la vésicule.

Des petits cailloux.

L’idéal pour jouer à la payana, ou tinenti : un jeu, appelé à l’origine kapichua, auquel jouaient les Indiens Tobas et Wichis avec des noyaux ou des graines ; un jeu qui leur permettait de développer leur adresse et d’apprendre à compter.

Je ne sais pas d’où je tire ces informations.

Les haut-parleurs du car passent Prince ou l’Artiste Autrefois Connu Comme : « Starfish and Coffee ».

J’écris ça dans un fichier Word non protégé sur le MacBook Pro 15 pouces.

Je l’ai volé chez Santiago, dans son studio au deuxième étage avec vue sur les arbres et le ciel.

J’ai aussi volé le cahier caviardé, mon cahier caviardé, que Santiago avait rangé dans sa bibliothèque entre le tome I et le tome II des Œuvres complètes de Borges.

Il me reste une vingtaine d’heures de voyage, en fauteuil semi-inclinable.

Je me suis rendu compte que les caviardages du cahier ne sont pas aussi opaques que je le pensais, avec de la patience on peut lire ce que j’ai écrit dessous.

J’ai eu peur quand j’ai constaté qu’on pouvait lire ce que j’avais écrit dessous.

Ici, dans le car, je ne peux pas lire, ça me donne mal au cœur.

Je peux écrire, mais pas lire ce que j’écris.

Je n’ai jamais su ce qui m’empêchait de lire en voiture et dans les cars.

Un problème de vue ?

Cérébral ?

D’estomac ?

Il suffit d’une page pour que je doive me précipiter aux toilettes du car pour vomir.

Un plateau avec deux sandwichs de pain de mie, un brownie écrasé, un petit fromage et de la pâte de patate douce ; un jus d’orange Cepita ; une bouteille d’eau minérale Villa del Sur.

Le bus est plein.

La personne devant moi a incliné son siège au maximum et je peux à peine ouvrir le laptop.

Quand je tourne la tête à gauche, le paysage essaie de me convaincre que nous sommes dans les Alpes suisses.

Je sais que plus nous approcherons de Buenos Aires plus le paysage va tomber en miettes, ou plutôt s’aplanir, se déprimer, au point qu’il vaudra mieux ne plus lui jeter ne serait-ce qu’un coup d’œil.

***

Je me suis accroupi près du corps de Santiago et j’ai cherché son pouls à son cou et à ses poignets, en évitant de regarder sa tête explosée.

Je n’ai pas réussi à l’éviter : le trou visqueux de son crâne, les taches de cervelle sur le ciment lisse du sol et sur les murs.

Mort.

Sans pouls.

Sans images.

L’eau minérale est tiède, presque chaude ; ils ont dû laisser les bouteilles au soleil sans faire exprès avant de les monter dans le car.

Les sandwichs de pain de mie sont mangeables : jambon cuit, fromage et beurre ; très peu de beurre.

Au moins ils ne piquent pas comme le ragoût de Norma.

Comme tous les plats de Norma.

Piment poblano et coriandre.

Jamais plus dans ce qui me reste de vie, s’il me reste encore une vie à vivre, je ne remangerai de la cuisine mexicaine.

Je me suis rasé avec le Gillette de Santiago : j’ai coupé ma barbe aux ciseaux, puis je me suis rasé.



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