Buveurs de vent by Franck Bouysse

Buveurs de vent by Franck Bouysse

Auteur:Franck Bouysse [Bouysse, Franck]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Éditions Albin Michel
Publié: 2020-05-11T00:00:00+00:00


Matthieu s’était toujours satisfait de son sort. Tout au long des journées de travail, il ne pensait qu’à retrouver la rivière et le silence que les hommes lui dérobaient. Les seuls dont il supportait la voix étaient ses frères, sa sœur et son grand-père. Il n’avait pas besoin de beaucoup pour vivre, ne courait pas après un bonheur manufacturé, n’ayant jamais expérimenté ce mot à l’intérieur d’une communauté humaine, pas même sa famille. Il ne recherchait rien qui ne fût pas en dehors des hommes laborieux qu’il côtoyait chaque jour aux carrières, avec leurs aspirations dérisoires, nées de jalousies stériles et de désirs racornis, pour la plupart. Matthieu ne jalousait personne. Il enviait les oiseaux capables de monter à une hauteur considérable, simplement pour voir le monde autrement. Survoler l’au-delà de sa maison, des carrières, de la centrale, du barrage et de la ville, toutes ces constructions que Matthieu avait de longue date reléguées au rang de maléfices.

Personne ne se méfiait de lui. Depuis la mort de Renoir et Salles, les langues se déliaient un peu. Cela durerait le temps que d’autres espions à la solde de Joyce viennent prendre leur place. Ensuite, on se tairait de nouveau. Matthieu ne se mêlait jamais aux conversations. Les écoutait parfois. Il put ainsi constater qu’en débarrassant la terre de la présence néfaste des deux hommes, il avait contribué à fertiliser des consciences, à susciter des doutes. Certains parlaient de signes, ne s’aventurant pas plus loin. S’ils avaient su que Matthieu avait rendu la justice au nom de tous, ils l’auraient probablement regardé autrement, mais ils ne le voyaient toujours pas.

Matthieu ne regrettait rien de ce qu’il avait fait, seulement d’avoir menti à son frère. Il pensait souvent au moment où il avait visé la caisse d’explosifs et pressé la détente, devenant la balle elle-même, l’extension de sa volonté. Il lui avait fallu des nuits de chaos et des réveils en sueur pour enfin s’avouer qu’il avait même aimé l’instant. Juge et bourreau dans le même fragment de seconde. Il y pensait encore, y penserait longtemps. N’éprouvait pas de culpabilité, se souciait encore moins de qui le jugerait, de qui viendrait la sentence que promettait sa mère pour tout acte commis, selon sa conception simpliste du bien et du mal. Il n’imaginait pas que des hommes puissent le juger, et il ne vénérait pas le même dieu que sa mère. Il avait claqué la porte d’un paradis. Il en préférait un autre, peuplé d’arbres et d’animaux et de terre et de rochers et d’eau. Il gardait tout cela pour lui, derrière son regard noir.



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