Blagues pour miliciens by Mazen Maarouf

Auteur:Mazen Maarouf [Maarouf, Mazen]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782081426917
Google: Ln91DwAAQBAJ
Éditeur: FLAMMARION
Publié: 2019-01-14T23:00:00+00:00

Biscuit

Ma mère était assise tranquillement sur la banquette arrière de la voiture. J'étais en train de raconter une blague à ma femme tout en conduisant. Nous étions en route vers l'hôpital psychiatrique pour y ramener ma mère qui venait de passer son jour de permission avec nous. Ma mère est pensionnaire de l'hôpital psychiatrique six jours par semaine. Alzheimer. La voiture roulait à quatre-vingts kilomètres heure. Ce n'est pas un détail. Je ne saurai jamais si ma blague était bonne ou pas. Ma femme n'eut pas le temps de rire. Au moment où j'ai fini de raconter ma blague, nous avons vu un vieil homme traverser de l'autre côté de l'autoroute. À quatre-vingts kilomètres heure, une scène de mort subite apparaît comme si elle se passait au ralenti.

J'ai bien entendu arrêté ma voiture, comme de nombreuses autres personnes. J'ai fait descendre ma mère avec l'aide de ma femme et nous l'avons invitée à observer la scène depuis l'arrière de la glissière de sécurité en béton. Le vieil homme était spectaculaire en effet. Il passait entre les voitures avec une grande agilité, sautait à cloche-pied, laissait passer une voiture, en esquivait une autre, effectuait des tours sur lui-même, faisait la roue, lançait des petits coups dans le vide. Je prenais garde à rester près de ma mère et de ma femme, afin d'éviter que le vieil homme ne nous touche avec son gant et ne nous transforme en biscuit. En effet, le gant du vieux grandissait, et chaque fois qu'il touchait une voiture, il la transformait en biscuit. Ma femme essaya de dire quelque chose au vieux. Mais je lui donnai un coup de coude et elle comprit qu'elle devait garder le silence. Quant à ma mère, ses yeux enregistraient l'ensemble de la scène sans en rien rater, d'autant plus que je la lui décrivais dans les plus menus détails, avec la verve d'un chroniqueur sportif.

Le vieux ne semblait pas inquiet. Il slaloma entre les voitures roulant à toute vitesse, puis enleva son chapeau blanc et le mit autour de son poignet comme un autre gant de boxe. Le vieux n'assénait pas de coups de poing aux voitures ; il ne faisait que les toucher. Les véhicules qui roulaient à toute allure essayaient de l'éviter, mais n'y parvenaient pas. Chaque voiture touchée se transformait en un bloc de biscuit. En raison de leur vitesse élevée, elles faisaient plusieurs tonneaux et finissaient en miettes sur la chaussée. La scène était magique pour les trois premières séries de voitures. Mais rapidement, un amas géant de miettes de biscuits se forma sur le bord de la route.

Nous allions reprendre la route vers l'hôpital psychiatrique quand ma femme dit en souriant qu'elle souhaitait poser une simple question au vieux. Je ne fis pas de commentaires. Nous arrivâmes à la porte de l'établissement. Je fis descendre ma mère de la voiture et la confiai à une belle infirmière, en lui chuchotant à l'oreille :

— Maman, raconte à la demoiselle l'histoire du vieux.

Ma mère se lança alors dans un monologue à propos du biscuit, en s'éloignant avec l'infirmière.

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