Avant la fin by Ernesto Sabato

Avant la fin by Ernesto Sabato

Auteur:Ernesto Sabato [Inconnu(e)]
La langue: fra
Format: epub


II

Peut-être est-ce la fin

Heure de deuil, taciturne regard du soleil,

l'âme est étrangère sur la terre.

GEORG TRAKL

Je regarde les informations et cela renforce ma conviction qu'il est inadmissible de s'abandonner tranquillement à l'idée que le monde surmontera sans difficultés majeures la crise qu'il traverse.

Le développement rendu possible par la technique et la puissance économique a eu des conséquences funestes pour l'humanité. Et, comme à d'autres moments de l'histoire, le pouvoir, qui a priori semblait le meilleur allié de l'homme, se prépare de nouveau à lancer la dernière pelletée de terre sur la tombe de son colossal empire. « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l'intelligence s'est abaissée jusqu'à se faire la servante de la haine et de l'oppression ... » Au crépuscule du XXème siècle, comment mettre en doute la véracité de ces mots de Camus ? Cependant, il est des gens qui prétendent continuer à parler du progrès de l'Histoire, attitude suicidaire de qui essaie de garder un œil sur le pathétique héritage rationaliste.

L'histoire ne progresse pas. C'est le grand Gianbattista Vico [*18]qui l'a dit: « Corsi e recorsi. » L'histoire est soumise à un mouvement de marches et contre-marches, idée qu'ont reprise Schopenhauer et, plus tard, Nietzsche. Le progrès n'est valable que pour la pensée pure. Les mathématiques d'Einstein sont à l'évidence supérieures à celles d'Archimède. Tout le reste, pratiquement le plus important, se passe du cortex vers le bas. Et le centre en est le cœur. Ce mystérieux viscère, presque une simple mécanique à pomper le sang, si insignifiant comparé à l'infinie et labyrinthique complexité du cerveau, mais qui ne nous fait pas mal pour rien quand nous affrontons de grandes crises. Pour des raisons que nous n'arrivons pas à comprendre, le cœur semble l'organe le plus vulnérable et le plus sensible aux mystères, aux tristesses, passions, jalousies, rancœurs, à l'amour et à la solitude, plus encore: à l'existence même de Dieu ou du Démon. L'homme ne progresse pas, parce que son âme reste la même. Comme dit l'Ecclésiaste, « il n'y a rien de nouveau sous le soleil » et il se réfère précisément au cœur de l'homme, habité à toutes les époques par les mêmes attributs, poussé à de nobles héroïsmes mais également séduit par le mal. La technique et la raison ont été les moyens vantés par les positivistes comme les flambeaux qui devaient illuminer notre marche vers le Progrès. Mais quelle pauvre lumière ils nous ont apportée ! Cette fin de siècle nous trouve plongés dans l'obscurité, et l'évanescente clarté qui persiste encore ne fait qu'accentuer les ombres qui nous cernent. Naufragé dans les ténèbres, l'homme avance vers le prochain millénaire avec l'appréhension de qui devine un abîme devant lui.



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