Au tribunal de mon père - Isaac Bashevis Singer by Biographies

Au tribunal de mon père - Isaac Bashevis Singer by Biographies

Auteur:Biographies [Biographies]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2016-06-08T22:00:00+00:00


Je deviens encaisseur

Un rabbin comme mon père vivait de ce que lui versaient les gens du quartier. Parce qu’ils avaient besoin de ses conseils sur des points de la loi religieuse et sachant qu’il devait gagner sa vie, ils remettaient chaque semaine des sommes variables à un encaisseur. Bien entendu, l’encaisseur signait des reçus, mais il lui était extrêmement facile de garder pour lui plus de ses vingt pour cent de commission.

Notre premier encaisseur était un honnête homme, mais il se maria et devint sacrificateur. Ceux qui lui succédèrent étaient chacun plus voleur que l’autre et je me rappelle que l’année de mes neuf ans, nous en avions un qui gardait presque tout l’argent pour lui. De semaine en semaine, il en rapportait moins et se plaignait : « Je n’arrive pas à me faire payer ! » « Il y a une crise ! » C’était au-dessous de la dignité de mon père de soupçonner un autre Juif.

Finalement il ne resta plus un morceau de pain à la maison et les commerçants refusèrent de continuer à nous faire crédit. Je ne recevais plus ma pièce de deux groschen quotidienne pour m’acheter des bonbons ou du chocolat. Nous ne pouvions plus payer le loyer et le propriétaire menaçait de nous traîner en justice et de faire saisir notre mobilier. Quand mon père récitait une bénédiction, il levait les yeux vers le ciel en soupirant plus fort que d’habitude. Était-il possible d’étudier la Torah et d’être un Juif s’il n’y avait rien à manger aux repas du shabbat ?

Un jour, après que mon père m’eut parlé de ses malheurs, je lui dis :

« Laisse-moi aller encaisser ! »

Stupéfait, mon père me regarda : « Mais tu n’es encore qu’un petit garçon ! Tu dois étudier.

— J’étudierai.

— Et ta mère, que crois-tu qu’elle dira ?

— Pourquoi lui en parler ? »

Après avoir réfléchi un moment, il dit : « Eh bien, essayons ! »

Je pris les reçus et me rendis aux adresses habituelles. Contrairement à ce que nous avait raconté mon voleur de prédécesseur, les donateurs se montrèrent très généreux. Comme nous nous étions débarrassés de l’encaisseur depuis plusieurs semaines déjà, les gens avaient pour la plupart un arriéré à payer et au bout d’une heure les poches de mon caftan étaient pleines de pièces de cuivre et d’argent. Au bout de deux heures, elles débordaient et je commençai à remplir mes poches de chemise et de pantalon.

La honte que j’avais éprouvée au début s’atténua. Tout le monde était si gentil. Les hommes me pinçaient la joue. Les femmes me bénissaient, m’offraient des petits gâteaux, des fruits, des bonbons. On me disait que mon père était un homme de Dieu, un saint. Je n’arrêtais pas de grimper des escaliers, de frapper à des portes. Cette rue Krochmalna que je croyais si bien connaître, je la voyais maintenant de l’intérieur. J’entrai chez des tailleurs, des fourreurs, des cordonniers, des fabricants de brosses, des artisans de toutes sortes. Dans un appartement, des jeunes filles



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