Amours perdues by Michel Déon

Amours perdues by Michel Déon

Auteur:Michel Déon [Déon, Michel]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction
Publié: 2019-04-24T04:00:00+00:00


VII

Isabelle fut surprise d’entendre, un soir, au téléphone, Daniel qui insistait maladroitement pour la revoir et, comme elle voulait lui donner rendez-vous dans un café quelconque, il prétexta qu’elle aurait peut-être à l’attendre et qu’il valait donc mieux qu’il passât chez elle. Elle dit oui avec un certain regret, se doutant que Christiane n’aimerait pas le retrouver.

Heureusement, Christiane était sortie quand Daniel arriva :

— Christiane n’est pas là ? demanda-t-il aussitôt.

— Tu l’appelles déjà Christiane ?

— Comment veux-tu que je l’appelle Belle-maman ou Mme Chambe ?

— Non, mais quand tu lui as parlé, comment l’as-tu appelée ?

— Je ne l’ai pas appelée. Je lui ai parlé sans dire son nom.

— Évidemment, c’était plus simple. Où veux-tu que nous allions ?

— Il faut que je passe au théâtre. Et ensuite, je te montrerai où j’habite.

Au théâtre on répétait une pièce qui devait succéder à celle de Daniel dans deux mois. Ginette Jambier tenait encore le premier rôle. À 3 heures de l’après-midi, elle avait les yeux battus de sommeil, la bouche un peu pâteuse. Isabelle la trouva alourdie mais encore étrangement belle sous ses cheveux vieil or, avec ses yeux bruns immenses. Elle restait à jeun jusqu’à minuit, mais après c’était la débandade. À 8 heures du matin les garçons de café de Montparnasse s’étaient fait une habitude de la ramener chez elle. Combien de temps serait-elle encore belle à cette allure là ? Daniel l’estimait comme interprète et, quand elle était lucide, comme conseillère. Elle avait un sens du théâtre extrêmement juste et quand les mots que l’on plaçait dans sa bouche ne lui convenaient pas ou qu’elle dénichait une faiblesse dans le dialogue, elle bafouillait avec une telle candeur que l’on devait à tout prix reprendre la plume et récrire entièrement le passage dont Jambier ne voulait pas.

On l’appelait Jambier comme on appelait Daniel, Chambe. Pour un homme elle était la meilleure des camarades. Isabelle ne la revit pas sans aigreur. Elle lui rappelait une nuit à laquelle elle gardait rancune d’avoir troublé la joie de retrouver son frère… Ginette, assise sur une table, donnait la réplique à la petite fée pâlotte. Elle s’interrompit quand elle vit Daniel sur le plateau.

— Ah ! te voilà, dit-elle, il fallait absolument que je te voie. Il y a quelque chose qui ne va pas quand j’entre en scène au deux. Mon monologue est sûrement trop long. Je m’en tire toujours à bout de souffle. Et puis ça m’ennuie de rester si longtemps seule sur scène. Voilà quinze jours que je me demandais ce qu’il y avait qui n’allait pas. J’ai eu un éclair de génie hier soir après la représentation dans ma loge.

— Toi, tu as toujours des éclairs de génie entre le moment où tu te démaquilles et celui où tu vas prendre ton premier verre de la nuit. Environ dix minutes.

— C’est pourtant vrai, je t’assure.

— Et si je ne veux rien changer ?

— Oh ! ça tu es libre, seulement maintenant que je sais ce qu’il y a, ça va être désastreux quand je m’y mettrai tous les soirs.



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