Ça aussi, ça passera by Busquets Milena

Ça aussi, ça passera by Busquets Milena

Auteur:Busquets, Milena [Busquets, Milena]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Espagne, Littérature étrangère
ISBN: 2072595967
Google: DO7zBwAAQBAJ
Éditeur: Gallimard
Publié: 2014-12-31T23:00:00+00:00


9

Je descends la côte en faisant des bonds. Tu disais toujours que je marchais comme mon père, comme si quelque chose nous poussait vers le haut, comme si nous frôlions tout juste le sol, qu’avant même de distinguer nos visages tu nous reconnaissais à la façon caractéristique que nous avions d’avancer. Je me souviens encore de ton irritation le jour où, dans la dernière ligne droite de ma première grossesse, tu m’as vue marcher avec moins de grâce.

« Ne me dis pas que, à l’âge que tu as, rien que parce que tu es enceinte, tu vas cesser de marcher comme tu l’as fait toute ta vie ! »

Tu saurais, rien qu’à me regarder en ce moment, que je m’en vais retrouver un homme. Tu ne m’as jamais freinée. Tu considérais que l’amour justifiait des comportements saugrenus qu’en n’importe quelle autre circonstance tu aurais blâmés. Si un serveur se trompait dans ta commande ou te renversait de la soupe dessus et que, en allant te plaindre, tu apprenais par le maître d’hôtel qu’il était amoureux – il n’y avait qu’à toi qu’on faisait des confidences aussi vite –, tu le regardais avec sympathie et disais : « Ah, alors, dans ce cas… » Et tu poursuivais ton repas comme si de rien n’était avec la jupe trempée de soupe. Mais si quelqu’un, en ta présence, fournissait avec assurance une information qui se révélait erronée, ou arrivait en retard à une réunion, tu le regardais avec stupeur et il ne regagnait jamais plus ton respect. J’ai passé ma vie à me battre pour le mériter, je ne suis pas sûre d’y avoir réussi. Je continue à arriver en retard partout.

Sorti je ne sais d’où, je vois que s’approche de moi à grandes enjambées le bel inconnu. Il est seul, il marche un peu penché en avant, comme le font souvent les hommes grands et minces, comme s’ils se protégeaient de vents invisibles, comme si sur les sommets qu’ils habitent soufflait toujours une tempête. Je marche si rapidement et je suis si nerveuse que je perds une sandale. Je la récupère juste à temps pour voir qu’il a suivi la scène et qu’il sourit d’un air amusé. Encore une fois, adieu à la femme fatale que j’aimerais être. Je lui souris et, en nous croisant, il murmure : « Au revoir, Cendrillon. » Je pense que je pourrais peut-être m’arrêter et lui proposer d’aller boire quelque chose (et nous soûler, nous raconter nos vies avec fougue et par grands élans, nous effleurer distraitement les mains et les genoux, nous regarder dans les yeux une seconde de plus que la décence le voudrait, nous embrasser et baiser avec précipitation dans un recoin du village, comme lorsque j’étais jeune, tomber amoureux tous les deux, voyager, être toujours ensemble et dormir serrés l’un contre l’autre et avoir deux enfants de plus et, finalement, nous sauver), mais je poursuis mon chemin sans me retourner. Si les hommes savaient la quantité de fois que nous, les femmes, nous nous faisons ce type de film, ils n’oseraient même pas nous demander du feu.



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