A propos d'un gamin by Hornby Nick

Auteur:Hornby, Nick [Hornby, Nick]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature anglaise, Roman
Éditeur: 12-21
Publié: 1999-05-05T22:00:00+00:00

20

Will aimait conduire dans Londres. Il aimait la circulation, qui lui permettait de s’imaginer en homme pressé et lui offrait, ce qui était rare pour lui, des occasions de frustration ou de colère (la plupart des gens essayaient de s’ôter de la pression, mais lui devait faire en sorte de la faire monter) ; il aimait connaître ses itinéraires ; il aimait être englouti par le flux de la vie de la cité. Pas besoin de travail ni de famille pour conduire dans Londres ; il fallait juste une voiture, et Will en avait une. Parfois il conduisait simplement pour le plaisir, et parfois parce qu’il aimait entendre de la musique à un volume qu’il était impossible de maintenir dans un appartement sans susciter de furieux coups à la porte, au mur ou au plafond.

Aujourd’hui, il s’était persuadé qu’il devait aller à Waitrose, mais, s’il était honnête, la véritable raison de ce trajet était qu’il voulait accompagner Nevermind de toute sa voix, et qu’il ne pouvait pas faire ça chez lui. Il aimait Nirvana, mais à son âge c’était presque un plaisir coupable. Toute cette rage, cette souffrance, cette haine de soi-même ! Il arrivait à Will d’être un peu… agacé, parfois, mais il ne pouvait pas prétendre ressentir quelque chose de plus fort que de l’agacement. Il utilisait maintenant du rock révolté joué à fond comme substitut à des sentiments authentiques, plutôt que comme une expression de ces sentiments, et ça ne lui posait pas de gros problèmes. A quoi bon des sentiments authentiques, après tout ?

La cassette avait changé de face automatiquement lorsque Will aperçut Marcus descendre Upper Street en flânant. Il ne l’avait pas vu depuis le jour des baskets, et n’avait pas eu particulièrement envie de le voir, mais il ressentit soudain pour lui un petit élan d’affection. Marcus était si enfermé en lui-même, si indifférent à tout et à chacun, que l’affection semblait la seule réponse possible : l’enfant, d’une certaine façon, semblait à la fois ne réclamer absolument rien et réclamer absolument tout.

L’affection que ressentait Will n’était pas suffisamment forte pour qu’il arrête sa voiture, ou même pour qu’il klaxonne : il s’était rendu compte que c’était beaucoup plus facile de garder de l’attachement pour Marcus si l’on en restait écarté, littéralement et métaphoriquement. Mais c’était curieux de le voir dehors dans la rue en plein jour, à marcher le nez au vent… Quelque chose le turlupinait. Pourquoi était-ce curieux ? Parce que jusque-là Will n’avait jamais vraiment vu Marcus en plein jour. Il ne l’avait vu que dans l’obscurité d’un après-midi d’hiver. Et pourquoi ne l’avait-il vu que dans l’obscurité d’un après-midi d’hiver ? Parce que Marcus ne venait qu’après l’école. Mais il n’était que deux heures. Marcus aurait dû être à l’école. Les boules.

Will lutta avec sa conscience, la plaqua au sol jusqu’à ce qu’il n’en sorte plus un cri. Qu’est-ce que ça pouvait lui faire que Marcus aille à l’école ou non ? D’accord, c’était une mauvaise question. Il savait très bien pourquoi ça aurait dû lui faire quelque chose.

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