A La légère by Michel Déon

A La légère by Michel Déon

Auteur:Michel Déon [Deon, Michel]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2019-04-15T15:30:31.489586-03:00 JF
Éditeur: Éditions Finitude
Publié: 2013-03-30T23:00:00+00:00


Le jour qui suivit, ce lac vert et bleu servit de toile de fond à leur promenade. La brume cachait Territet, et le Léman s’ouvrait comme un fjord sur un horizon blanc. Ils passèrent devant le môle d’où elle avait plongé pour briser la glace. Jérôme voulut l’arrêter mais elle le força à continuer. Il ne put noter que la rougeur assez vive qui envahissait ses joues.

— Comment vont ces deux éraflures ?

— N’en parlons pas. Ce ne sont plus que de légères égratignures roses.

— Je n’ai pas encore compris pourquoi ce sacrifice.

— Il fallait un terme à cette situation, dit-elle. Je n’aurais pu supporter longtemps ces trente-quatre désirs aussi aigus. La conférence devait prendre fin. Et puis…

— Et puis…

Jérôme démêla une histoire très compliquée. Constance, née dans un de ces pays opprimés par les Moldaves, avait juré de se venger en précipitant la conclusion du Projet de Paix. À la vérité, cet aspect de la question n’intéressait Jérôme que fort peu. Il se méfiait (instruction secrète n° 7 à l’usage des diplomates) de l’opinion politique des femmes. Constance continuait de raconter comment elle avait quitté son pays à cheval, traversé des forêts, des plaines, des villes enflammées et comment un matin elle s’était réveillée dans les montagnes helvètes où des douaniers verts l’avaient recueillie, nourrie et dirigée sur Genève, dans un camp bourré de chocolat, de confiture, de pain blanc, de savon et de bas nylon. Elle avait eu le temps d’apprendre la sténotypie et grâce à sa connaissance de six langues, on lui avait accordé un passeport d’apatride et un poste à la Conférence Internationale de la Paix. Là, Jérôme savait tout :

— Et mon désir à moi ne t’était pas pénible ?

— Oh, toi, on voit bien que tu aimes comme tu respires…

— Je n’ai jamais dit que je t’aimais !

— Alors, lâche mon bras.

— Constance chère, il n’y a aucun rapport entre la pression que j’exerce sur ton bras et le fait que je n’ai pas encore avoué que je t’aimais. S’il le faut…

— Lâche mon bras…

— Constance, je t’aime…

De quel aveu de prix venait-il de payer le plaisir de tenir ce bras ? Jérôme en eut soudain peur. Non pas qu’il mentît effrontément, mais il n’en savait encore rien. Les mouettes tournaient au-dessus du lac avec leurs cris de noyés si étrangement humains. Un cygne blanc, un cygne noir traçaient des V sur le Léman irisé. Mais n’interprétons pas les signes. Il ne s’agissait pas de crier victoire en pleine défaite. Constance vaincue, abandonnant son bras, avait manifestement horreur des baisers en plein air. L’aveu de Jérôme était grave. Il ne l’avait pas fait assez souvent pour ne pas y attacher d’importance. À la minute même il se souvenait qu’il avait réservé ces mots à Marie, Olivia et Odette. Constance les volait toutes trois. Que pouvait-il ajouter ? Sa faute était de s’être aventuré à la légère sur un terrain mouvant. L’ennemi, le dos au soleil, avait pris soin de l’éblouir. Jérôme du Terrail était



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