Toute la beauté du monde n'a pas disparu by Younge-Ullman Danielle

Auteur:Younge-Ullman, Danielle [Younge-Ullman, Danielle]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard Jeunesse
Publié: 2017-04-03T22:00:00+00:00

PAIX

(Peak Wilderness, jour 11, suite)

La lune est (à nouveau) apparue dans le ciel quand on atteint le camp en titubant. Il ne fait pas totalement nuit, mais c’est déjà l’heure de préparer le dîner.

Je n’attends pas qu’on m’assigne une tâche. Je ne me soucie même pas de monter la tente. Je pose mon sac sur un rocher près de la rive, je retire mes chaussures et mes chaussettes, je sors mon savon et me dirige tout habillée vers le lac.

Presque tout le monde m’imite, à l’exception de Paix, qui commence par se déshabiller, puis fait des allées et venues en courant tout nu sur le sable, si bien que nous avons une vision prolongée (au cas où nous en aurions envie) de ses parties intimes qui rebondissent dans le soleil couchant.

Au moins, pour une fois, il va se laver.

La rive est longue, alors chacun trouve un refuge pour se déshabiller et essayer de laver un peu ses vêtements. Après avoir nettoyé mon pantalon, ma chemise et mes chaussettes, je les pose sur le rocher près de mon sac, et je plonge dans l’eau en sous-vêtements. (Encore quelque chose qui choquerait ma mère, mais quelle importance ?)

L’eau est froide, très froide, mais j’ai terriblement besoin d’être seule, et la fraîcheur apaise mes pieds endoloris, les centaines de piqûres d’insectes, ainsi que mes muscles courbatus. Je m’agite dans l’espoir vain de me réchauffer, puis je retire mes sous-vêtements que j’enroule autour de mon bras afin de ne pas les perdre.

En peu de temps, je suis seule avec mon savon en train de fondre, le reflet de la lune sur l’eau, mon cœur triste et furieux qui lutte contre le froid.

Je suis trop lasse pour pleurer.

Je suis tellement lasse de tout, au sujet de tout, que je m’imagine laisser l’eau froide me submerger et quitter le monde avec tout ce qu’il contient. Je suis tellement lasse que cette idée ne me choque même pas.

Puis j’entends du bruit, et je vois que Paix vient de sauter dans l’eau.

Je m’immerge en espérant qu’il ne m’ait pas vue, et/ou qu’il comprenne que je n’ai pas envie de compagnie.

Raté.

Il s’avance droit vers moi.

Je me rends compte que je suis nue, et pas assez lasse pour n’en avoir rien à faire.

– Salut, leader, dit-il en m’éclaboussant.

– Salut, Bob, dis-je avec une absence d’enthousiasme manifeste.

– Paix.

– Non, merci.

– Non, merci pour quoi ?

Nouvelles éclaboussures.

– Pour l’invitation à s’éclabousser.

– Qu’est-ce que t’as, peur de perdre ton savon ? dit-il en haussant les sourcils.

– J’essaie juste de profiter un peu du calme, Paix.

– Ouais, moi aussi.

– Seule, si ça ne te dérange pas.

Je m’éloigne.

Il me suit.

– On est dans un pays libre, il insiste.

– Mais tu as quel âge ?

– Eh baby, c’est juste de l’amour.

– OK.

– Tu m’aimes pas, dit-il.

– Je ne te connais pas, je rétorque.

Je m’immerge le plus possible. Mais pour prendre mes distances, je vais devoir reculer dans un endroit encore plus profond.

– Reconnais-le, tu m’aimes pas.

– Qu’est-ce que ça peut te faire ?

– Rien.

– Alors pourquoi tu poses la question ?

– Je veux juste que tu l’admettes.

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