Soudain le large by Decoin Julien

Auteur:Decoin, Julien [Decoin, Julien]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Média Diffusion
Publié: 2017-01-11T23:00:00+00:00

Charles se réveille, un maquereau mort noyé dans le seau rempli d’eau de pluie. Ce qui lui manque, c’est aussi l’alcool. Il a fini depuis longtemps le liquide mordoré que contenait la bouteille de Lagavulin. Il n’a plus qu’à se réconforter avec ce qu’il reste d’arôme et se shoote, les narines en plein dans le goulot, à cette odeur de tourbe fumée, entre herbe et terre, eau et feu. Mais il a beau faire, plus d’ivresse. Alors il verse l’alcool à 90° – les derniers degrés embarqués – au fond de la bouteille d’Islay et les met à chauffer, quelques instants. Le trop d’éthanol s’évapore tandis que le reste s’imprègne jusqu’à ce que l’alcool cristallin brunisse, ternisse, se pervertisse. Il boit. Ça lui arrache la langue, le palais, l’œsophage, mais son cerveau n’a pas le temps de réagir et croit à la farce. L’Islay lui tourne la tête, le crâne a mal : mission accomplie. On peut donc se mentir et y croire. Charles finit la bouteille. Après ça, il n’aura plus rien. Les dernières gouttes. Encore a-t-il la chance de savoir que tout ça a une fin.

Il devrait faire pareil avec tout ce qui a été en contact, de près ou de loin, avec la peau, les cheveux, l’haleine de Catherine. En extraire un parfum, une essence parfaite d’elle. Il lui faudrait brûler tout le bateau. Il n’y songera qu’en dernier recours. Ce serait un beau suicide, chauffer la mer, la porter à ébullition, n’en tirer que les effluves de Catherine.

Charles ne se souvient plus comment il est passé du Syphax, où tous les étudiants fauchés se retrouvent pour boire des pintes de bière coupée à l’eau et à 3 euros, aux canapés en cuir et aux cocktails à 13 euros du Rosebud. Sûrement avec les premiers jobs, les premières fiancées, les premières tétées. Des bières à 3 euros, pour être bourré, il faut avoir la nuit devant soi. Des bons cocktails, trois en une heure et demie, l’affaire est pliée. Et c’est meilleur. On s’entend parler, les filles au bar sont moins jeunes et moins jolies, mais tant mieux, on ne sort plus pour ça. Les autres non, en tout cas. Charles se loge à la même enseigne, par défaut, et se cale sur leur vie d’hommes mariés. Du moins, jusqu’à ce qu’une fille sorte du lot et que tous ses potes se tournent vers lui, avec les yeux qui salivent par procuration. Ces coups rapides se font en général à la verticale, parce que improvisés, surtout impatients et maladroits. Ce sont les belles histoires d’amour qui se vivent à l’horizontale, lorsqu’on prend le temps de s’y mettre. Et sa plus belle, c’est bien lorsqu’il s’est couché sur elle pour la réchauffer, pour la sauver.

Ses potes, une demi-douzaine, lui manquent un peu, c’est vrai, mais pas plus que d’ordinaire. Se sont-ils seulement aperçus de sa disparition ? Dans quelques jours, oui, sans doute, l’un d’eux commencera à réaliser. Ils peuvent passer quelques semaines, quelques mois sans se voir. À croire que le temps file plus vite à 30 ans.

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