Les damnés du vieux port by Gouiran Maurice

Auteur:Gouiran, Maurice [Gouiran, Maurice]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Converti
Publié: 2017-01-25T04:00:00+00:00

12 décembre, Marseille

Bon, pour Fernand, j’ai bien compris le discours de Rosalie. Et son amertume aussi. Voilà un gars qui se lève le cul pour combattre les Boches, qui se retrouve dans l’enfer de Buchenwald et, quand la guerre est finie, on lui octroie généreusement une poignée de main, une jolie médaille et on le remet au boulot dans son usine. On nomme à la tête de ladite usine un collabo plus ou moins notoire – mais gestionnaire confirmé, rentabilité oblige – et c’est reparti comme en 14 !

Alors, le Fernand, il trime comme un nègre, comme avant la guerre. Le soir, il crache ses poumons et hurle dans son sommeil à cause des fantômes en tenue rayée qui hantaient les blocks de Buchenwald, tandis que son gentil voisin, l’épicier pépère qui s’est fait les roubignolles en or avec le marché noir et qui a cafardé au passage sur quelques Juifs, juste ce qu’il faut pour que les Frisés ferment les yeux sur ses magouilles, modernise sa boutique et ronfle toutes les nuits comme un bienheureux auprès de sa rombière…

J’en viens aux choses sérieuses :

— Et Rodolphe, votre frère ?

— Rodolphe… Mais il est mort en héros, tu sais pas ? Oh, il l’aurait pas supporté, Rodolphe, d’être traité comme un vaurien après s’être autant battu pour la France.

— Il est mort comment ?

— Il a donné sa vie pour la France Libre, mon frère. C’est l’honneur de la famille, Rodolphe ! D’ailleurs si tu vas au cimetière Saint-Pierre…

Ça, je connais, et je ne vais pas lui resservir les remarques faites à la Zize au sujet de l’entretien plutôt approximatif de la pierre tombale.

— Je sais. J’ai vu sa tombe.

Elle marque un instant de surprise. J’en profite pour sortir mon portefeuille et en retire les photos du « résistant ».

— Vous ne trouvez pas qu’il avait un drôle d’uniforme, votre frère, pour un FFI ?

Elle frissonne imperceptiblement. Une lueur passe dans son regard :

— Je. Je ne connaissais pas ces photos…

Elle porte les clichés à dix centimètres de son visage pour mieux les détailler :

— Ça alors, j’en reviens pas !

J’enfonce le clou :

— Je n’ai jamais connu de résistant qui posait en tenue de SS.

Elle a réponse à tout :

— Je vais t’expliquer. C’est la Résistance qui a demandé à Rodolphe de s’engager dans la Waffen SS. Il avait une mission dangereuse qui consistait à infiltrer la SS afin de saboter ses actions et, éventuellement, de liquider quelques-uns de ses officiers supérieurs.

Ça, je sais que c’est un truc qui a existé. Il y a quelques années, de vieux résistants du sud-ouest, m’ont raconté qu’en 44, des partisans yougoslaves étaient parvenus à se glisser parmi les SS bosniaques, et avaient réussi à liquider leurs officiers à Villefranche-de-Rouergue.

Après tout, j’ai peut-être accablé Rodolphe à tort. Il faut dire qu’un résistant en tenue de SS, ça peut prêter à confusion… Et s’il avait vraiment joué un double jeu comme le prétend Rosalie ?

Le chat miaule, elle ouvre la porte. Le matou regagne sa place sur le canapé.

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