Le lynchage aux États-Unis by Michel Joël

Le lynchage aux États-Unis by Michel Joël

Auteur:Michel,Joël [Michel,Joël]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: La Table Ronde
Publié: 2008-03-28T23:18:10+00:00


L’impossible dissidence

S’opposer serait s’exposer. Nous ne parlons pas des Noirs, réduits au silence, ni de l’indignation qu’on peut exprimer dans la presse du Nord, mais de ces Blancs qui habitent une petite ville du Sud. La violence, même extrême, appuyée sur un consensus de la communauté, a quelque chose de totalitaire. Ajoutons-y le poids des intérêts. Les journaux condamnent les « excès » de torture sadique, mais mettent très longtemps avant d’en tirer les leçons. Ils sont trop complices et même profiteurs, comme les compagnies de chemin de fer prêtes à organiser des trains spéciaux, comme les charognards à l’affût d’une bonne occasion, photographes locaux en tête : tout cela n’est pas ragoûtant, mais les affaires sont les affaires.

Il est difficile de s’en désolidariser. Est-ce prudent d’aller dire qu’on désapprouve un lynchage ? On est classé à tout jamais nigger lover, ce qui rend la vie difficile – l’ostracisme vous guette, on finira même par vous obliger à partir, sans avoir sauvé la vie du pauvre diable. Le dégoût perceptible des hautes classes se fond dans leur mépris social – de tous ces gens-là, sales Noirs et sales petits Blancs, que peut-on attendre ? Même les hommes d’Église gardent le silence. Parmi les Sudistes ordinaires, ceux qui désapprouvent ou que le spectacle dégoûte se taisent et en écartent leurs enfants ; les Justes sont rares.

Même dans un monde aussi brutal, la cruauté n’est pas facile à supporter pour tous. Les photos nous montrent des foules blanches qui vont au spectacle de la mort en famille. Avant l’époque d’hystérie raciste de la fin du siècle, la presse est plus franche dans ses appréciations. En 1859, dans le Missouri, on lynche quatre esclaves noirs, pour quatre crimes différents. La foule surexcitée s’est saisie d’eux entre deux procès. Le premier est brûlé vif, il hurle pendant plusieurs minutes avant d’être étouffé par la fumée mais fait forte impression, luttant contre ses chaînes rougies au feu. En même temps, on en pend un autre, qui meurt rapidement. On allait brûler le troisième, mais on y renonce après ce qu’on vient de voir : finalement, on le pend aussi, mais il est « mal » pendu et meurt dans de vilaines conditions. D’après le Saint Louis Democrat, « beaucoup, vraiment beaucoup de spectateurs, qui ne se rendaient pas compte de toute l’horreur de la scène jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour revenir en arrière, se retirèrent malades de dégoût en voyant cela[168] ».

Dans la foule prompte à se rassembler là où on sait qu’il va se passer quelque chose, nombreux sont les badauds, auxquels s’offre un spectacle de rue ; parmi ceux qui s’agglomèrent au lugubre cortège et vont jusqu’au bout, beaucoup sont des suivistes. Mais qu’en est-il de ceux qui se rendent volontairement à un grand spectacle organisé ? Peut-être y trouvent-ils plus qu’ils ne cherchaient. Ils sont quelques centaines à quitter le spectacle du bûcher de Sam Hose en 1899, quand les tortures tournent au cauchemar. Au fil des horribles récits, on ne peut s’empêcher cependant d’observer comme une accoutumance progressive des spectateurs.



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