Le nageur by Pierre Assouline

Auteur:Pierre Assouline [Assouline, Pierre]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Biographie historique, Sport, Littérature française
Éditeur: Gallimard
Publié: 2023-03-04T06:40:34+00:00

Dans la matinée du 21 décembre 1943, vers 9 heures, la Gestapo débarque au gymnase de la rue Philippe-Féral, où Alfred Nakache commence une séance de gymnastique avec un groupe ; au même moment, d’autres agents de la police allemande se présentent à son domicile de la rue des Cimetières-Saint-Cyprien. Alfred et Paule sont emmenés à leur siège. Ils y aperçoivent de loin de discrètes silhouettes qu’ils croient reconnaître. Celles de Cartonnet et d’un autre nageur sous son influence, Gibel. Le coup de filet n’est pas complet : quelqu’un fait remarquer qu’il manque la petite. La Gestapo retourne en vain chez eux. Elle fait pression sur un voisin nommé Izac, patronyme dangereusement ambigu en ce temps-là, le menace du pire. Peu après elle surgit au couvent Sainte-Lucie où l’enfant avait été confiée aux sœurs de la Maison des mères.

Lorsque commence son interrogatoire, Alfred comprend vite que l’ordre vient de haut. Une réflexion de Franz Kafka le dit bien : « Les chaînes de l’humanité torturée sont faites en papier de ministère. »

À ceci près qu’Alfred n’en veut pas au colonel Pascot. Il est sûr qu’il n’y est pour rien même s’il lui reproche de l’avoir interdit de compétition – ce que l’intéressé dément. Qui alors ? Car il ne fait guère de doute qu’il a été dénoncé. On l’imagine, n’importe quel Toulousain connaît son adresse et ses origines ne sont un secret pour personne. En revanche, ses activités clandestines sont confidentielles. Au fil des questions, Alfred se demande si, outre Jacques Cartonnet dont la jalousie n’a pas faibli et qui est bien capable de commettre un acte de délation, un autre champion, Roland Pallard, l’un des rares à ne s’être pas solidarisé avec lui lors de l’affaire du boycott, n’est pas derrière son arrestation. Or on vient d’apprendre qu’il a été exclu de son club. Sans autre explication. Son père est également mis en cause.

« Vous êtes accusé de propagande antiallemande », lui dit-on.

Ce qui veut tout dire et rien dire. Sur quoi se fondent-ils ? Le dossier paraît à peu près vide. Surtout ne pas céder à l’intimidation. Alors ils font monter la pression :

« Vous êtes le chef de la propagande gaulliste à Toulouse, vous vous livrez au trafic d’or et de diamants ainsi qu’au passage de dissidents de la France vers l’Espagne. »

Du pur délire. Des prétextes servant à masquer un règlement de comptes. Au fil de l’interrogatoire, il comprend que les Allemands ne lui pardonnent pas de continuer à battre les records de leurs nageurs. De plus, il leur faut donner des gages aux collaborationnistes qui n’ont eu de cesse de réclamer sa tête lorsqu’il était protégé et plus encore depuis qu’il ne l’est plus. Parmi eux, on trouve aussi des nageurs français animés par la jalousie et son conservatoire de haine pure.

Après avoir passé quarante-huit heures au siège de la Gestapo, Alfred et Paule sont transférés à la prison Saint-Michel. Troisième quartier, chambre 14, premier étage. Avec Manuel Puig, leur entraîneur de water-polo qui habite

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