La presqu'île Martin by Georges Montforez

La presqu'île Martin by Georges Montforez

Auteur:Georges Montforez [Montforez, Georges]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 1960-08-02T16:00:00+00:00


Dans la soirée, Thérèse fit une entrée remarquée à la maison du bonheur. Les trois fronts attentifs de papa-Juste, de Patricia et de Luc étaient penchés sur les éclatantes reproductions insérées dans un grand ouvrage consacré aux Impressionnistes dont on venait de faire l’achat. Les trois fronts se levèrent. Thérèse avait frappé la porte d’un martèlement bien à elle qui la signalait. Avant de la voir, on savait qui allait entrer.

— Bonsoir à tous, cria-t-elle dans un rire.

Les baisers de Thérèse étaient sonores et fougueux. On reprenait haleine quand elle s’assit. Elle eut un sifflement admiratif pour le livre qu’elle feuilleta, mettant spontanément un nom sur chaque image : Manet, Pissarro, Sisley. Mais le jeu était usé pour elle et la dernière page retomba mollement sur les autres.

— J’ai retrouvé Léon, dit-elle.

— Où ?

— Quand ?

— Comment ?

Les trois questions fusèrent ensemble et les trois fronts amis se rapprochèrent en face de la nouvelle qui tombait. Il y eut une pause. Thérèse ne cherchait pas un effet, mais simplement une gauloise bleue qu’elle tira du paquet posé sur la table. La boîte d’allumettes qui voisinait étant vide, elle la jeta d’un geste précis dans le vase qui ornait le buffet, à l’autre bout de la pièce. C’était un rite. Elle faisait ainsi chaque fois et ne manquait jamais le vase. À défaut de boîte vide, elle aurait lancé une boîte pleine ou autre chose. Papa-Juste lui tendit la flamme de son briquet et dit :

— Ma chère nièce, nous brûlons. La fugue de ton cousin Léon nous comble d’aise autant qu’elle nous afflige. Comme tu vois, nous en cherchions l’oubli dans les toiles des maîtres. Informe-nous, je te prie.

Elle eut un rire cascadant qui n’en finissait plus, enchantée par le langage noble de son oncle Juste.

— Voilà, dit-elle enfin calmée. J’étais au Bar des Routiers avec Aldo…

— Aldo ?

— Un copain…

— Un nouveau ?

Papa-Juste était incorrigible. Il coupait tout le temps. Luc et Patricia s’interposèrent avec véhémence : on parlait de Léon ; pour le nommé Aldo, on verrait ensuite. Papa-Juste se tut, soumis, et Thérèse poursuivit :

Donc, elle entrait aux Routiers avec le copain Aldo pour faire une partie de baby-foot et voilà qu’elle découvre Léon tout seul à une table en face d’un Pernod. Oui, un Pernod, c’était bizarre car Léon ne boit pas, surtout qu’il n’était que cinq heures de l’après-midi. Thérèse abandonna copain et baby-foot et vint à Léon qui eut d’abord l’intention de fuir mais se rassit, plutôt soulagé. Il aimait bien cette cousine bohème qui avait manifesté dès l’enfance son hostilité au système commercial Martin. « Bonjour Léon, veux-tu m’offrir l’apéritif ? — Si tu veux. » La voix était lourde, maussade, l’œil inquiet. « Tu es riche, Léon. — Oh ! Cet argent me pèse. — Pauvre Léon ! — Pourquoi dis-tu pauvre Léon ? — Il fallait partir sans un sou. Sans un sou, on est libre. — Je n’aurais pas su. — À ta santé, Léon. — Que fait ma mère ? — Elle attend.



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