La Mort au Festival de Cannes by Brigitte Aubert

La Mort au Festival de Cannes by Brigitte Aubert

Auteur:Brigitte Aubert [Aubert, Brigitte]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2015-11-18T11:48:54.099000-04:00
Éditeur: Seuil
Publié: 2015-04-11T03:00:00+00:00


7

Tempus fugit, le temps passe et au passage, il blesse. Je me sens morose aujourd’hui. Je griffonne sur le carnet que m’a donné Yvette. Charles l’a fixé sur la planchette rigide qui servait de support à l’ordinateur. Notre homme providentiel a surgi comme par enchantement au petit déjeuner, manquant me faire renverser mon café. Trois hypothèses : a) C’est un rat d’hôtel et il est passé par le balcon. b) Il a frappé à la porte mais comme je suis devenue sourde en plus du reste, je ne l’ai pas entendu. c) Il a dormi dans la chambre d’Yvette la sournoise.

Histoire de vérifier s’il était tout habillé ou en slip kangourou, j’ai essayé de manœuvrer le fauteuil pour l’effleurer, et je me suis fait engueuler parce que j’ai failli renverser la table. Donc je ne sais toujours pas si ma fidèle gouvernante et l’extra de service pratiquent le coït ininterrompu.

Concernant la technologie, il va falloir commander mon nouveau modèle d’ordinateur spécial, ça prendra du temps, je ne l’aurai qu’à mon retour en banlieue parisienne. Donc d’ici là, je repasse à l’écriture manuelle. C’est plus compliqué, plus lent, so seventies. Archaïque !

Le prince Charles a filé faire trempette, il se baigne tous les matins comme s’il préparait un triathlon. Je me laisse pousser vers le Palais sans enthousiasme par une Yvette qui ne parle pas beaucoup, elle non plus n’a pas la pêche. Gueule de bois suite à abus de morts subites. D’ailleurs, j’ai la langue pâteuse. Le soleil nous tape sur le crâne pendant que nous patientons au milieu d’une longue file d’attente pour pénétrer dans le saint des saints. Certains sentent déjà la sueur, d’autres le shampooing. Commentaires désabusés sur les films vus la veille, plaisanteries graveleuses, anecdotes de soirées. Bien évidemment personne n’évoque la mort de Delbec ou autre. Les accidents, ça arrive tous les jours, ce n’est pas intéressant. Pas autant que le nouveau Lars von Trier. C’est l’avantage de la fiction sur la réalité : vous aider à l’oublier. On pleure cent fois plus pour des malheurs imaginaires sur grand écran que pour ceux bien réels que l’on apprend tous les jours. La puissance inouïe de l’imagination.

La connerie inouïe des types qui poussent par-derrière croyant sans doute à l’effet dominos, résultat mes roues écrasent les brodequins du cerbère qui défend l’entrée du royaume et il me crache : « Faites attention où vous mettez les pieds… euh, les roues ! »

Nous entrons enfin, ruisselantes et soufflantes. Conseil de festivalière aguerrie : ne jamais se séparer de son brumisateur ni de son déodorant. N’espérez pas vous hydrater régulièrement : ils interdisent les grandes bouteilles d’eau dans les salles de projection. Si, si, croyez-moi. Vous enchaînez quatre films, vous crevez de soif pendant huit heures. Ils ne lisent pas les journaux féminins, c’est sûr, sinon ils sauraient à quel point nous avons besoin de notre litre d’eau quotidien. Ergo, le Festival du film trahit par là à quel point le cinéma est un monde d’hommes où l’on compte les réalisatrices sur les doigts de la main.



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