L'institution de l'esclavage by Alain Testart

L'institution de l'esclavage by Alain Testart

Auteur:Alain Testart
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2018-05-14T16:00:00+00:00


CLASSIFICATION VERNACULAIRE

Tel est grosso modo l’essentiel de ce que je voulais dire sur les classifications que j’appelle « sociologiques ». On peut en faire de multiples, toutes légitimes, de différents points de vue. Il en va de même des classifications que les sociétés font de leurs dépendants et des formes de dépendance. Je crois que l’on peut tenir pour insuffisamment informé tout sociologue, ethnologue ou historien qui affirmerait : « La société que j’étudie classe ses dépendants ainsi. » Elle les classe peut-être ainsi d’un certain point de vue, mais les classerait autrement d’un autre point de vue, exactement comme nous classons dans notre société les travailleurs en salariés et travailleurs indépendants, en immigrés et non-immigrés, en blouses bleues ou en blouses blanches, etc., sans qu’aucune de ces oppositions se recouvre. Nous ne pouvons jamais supposer que les sociétés étudiées sont plus simples que celles dans lesquelles nous vivons.

Parmi toutes ces classifications « indigènes », une est généralement mieux étudiée : celle qui est inscrite dans la langue. Elle est toujours significative, sinon fondamentale puisqu’elle livre un point de vue de la société sur elle-même, traduit des catégories qui ne sont pas les nôtres et oblige à chercher ses structures, ses modes de pensée ou ses principes propres, puisque enfin l’on ne peut faire autrement que de les prendre comme point de départ méthodologique de l’étude. Deux remarques sur ces classifications « linguistiques » :

1. Il n’y a aucune raison a priori pour qu’elles correspondent à nos classifications sociologiques.

2. Il n’y en a guère plus pour qu’une de ses catégories (un de ses termes vernaculaires) corresponde à ce que nous définissons comme « esclave ».

Pour illustrer mon propos, je prendrai trois exemples.

Le premier est celui des Ashanti, puissant royaume de l’Ouest africain, que nous connaissons bien maintenant pour l’avoir examiné en partie au chapitre II. La question de l’esclavage est bien documentée par Robert S. Rattray, qui bénéficie de travaux antérieurs39. Le vocabulaire de la dépendance, tel qu’il le restitue, distingue :

— L’akoa, terme qui s’applique autant au neveu utérin vis-à-vis de l’oncle maternel, à la sœur, à la femme et aux enfants de ce neveu vis-à-vis du même oncle, qu’au sujet vis-à-vis d’un chef local, à ce chef vis-à-vis d’un plus grand, à ce dernier vis-à-vis du roi de l’Ashanti, au roi vis-à-vis du dieu suprême. Le terme correspond donc à une notion très générale de dépendance, qu’elle soit parentale ou politique. Il serait absurde de traduire ce mot par « esclave », comme le remarque Rattray, qui ajoute qu’il ne désigne rien d’autre que « cette condition essentielle et volontaire de servitude de chacun vis-à-vis d’un autre »40.

— L’awowa, le gagé.

— L’odonko, l’esclave d’origine étrangère, acheté.

— Le domum, l’esclave d’origine étrangère, capturé à la guerre, ou livré au titre du tribut par des puissances étrangères vaincues.

— L’akoa pa ou akoa tororo (ou trororo), esclave d’origine Ashanti, ancien homme libre réduit à cet état pour faute ou vendu en esclavage par l’oncle : il est exclu de son lignage, lequel n’est plus responsable de lui, ne peut même pas récupérer son corps à son décès.



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