Danser au bord de l'abîme (Littérature française) (French Edition) by Grégoire Delacourt

Danser au bord de l'abîme (Littérature française) (French Edition) by Grégoire Delacourt

Auteur:Grégoire Delacourt [Delacourt, Grégoire]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: JC Lattès
Publié: 2016-12-27T23:00:00+00:00


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Je dirais que nous sommes davantage faits de ce qui nous a traversés que de ce qui nous est resté.

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Un verre de griotte-chambertin.

Un bourgogne somptueux, au bar de l’hôtel anversois, le soir, après les funérailles. Robe rubis, presque cerise noire. Arômes vertigineux de framboise, de groseille ainsi que le noyau, de réglisse, d’épices, de mousse et de sous-bois. Un corps entier, une chair voluptueuse. Le liquide tournoie dans le verre, laisse des larmes magnifiques. Et dans mon oreille, la voix de Sophie, hystérique, je suis sûre maintenant, tout à fait sûre, disait-elle. Elle me racontait sa rencontre quelques semaines plus tôt avec Maurice Carton, à des noces d’or où elle était invitée, une ancienne amie du boulot. Les enfants du couple avaient eu l’idée d’engager un chanteur pour animer la soirée, Maurice Carton, soixante-cinq ans, spécialiste du répertoire d’Eddy Mitchell dont les parents raffolaient des chansons, avaient dansé sur « Pourquoi m’laisses-tu pas tranquille, Lucille ? » et pleuré avec « Couleur menthe à l’eau », et c’est lorsqu’il a entamé « Rio Grande », tu sais, Emma, cette chanson si désabusée, si triste, avec ces paroles si belles, « Le temps va s’arrêter/ Pour mieux nous oublier7 », c’est à ce moment-là qu’il m’a regardée, qu’il m’a vue, on aurait dit qu’il ne chantait que pour moi, que c’était moi la petite voleuse, la marginale traquée de la chanson, que c’est avec moi qu’il voulait s’enfuir, finir le blues, fini les bleus, oh Emma, j’étais tout chose, mon cœur battait comme celui d’une midinette et j’avais chaud, si tu vois ce que je veux dire, ça pulsait, c’était presque douloureux, je bouillais, à un moment il s’est approché de moi, tout près, il a tendu son micro, j’aurais pu m’évanouir, son micro, Emma, tu te rends compte, devant tout le monde, il montrait que, enfin, tu vois, ce n’était pas très discret, mais qu’est-ce que c’est flatteur, et en duo on a fait les dernières paroles, « Ça s’ra toujours le blues/ Dans la banlieue d’Mulhouse », les gens ont applaudi, crié, sifflé, il y a eu quelque chose de très fort, et j’étais super excitée, tu imagines, et il l’a senti, il m’a fait un clin d’œil, et on s’est retrouvés dehors, pendant sa pause, il fumait une Gitane, une odeur d’enfance, on ne s’est rien dit, on savait tous les deux, il m’a collée contre lui, il était très dur, il m’a murmuré qu’on ne se quitterait plus, j’ai dit oui, j’ai dit je le sais, Maurice, de près il avait l’air plus doux que de loin, c’est ce que j’aime chez les hommes, cette ambiguïté, et des yeux, Emma, des yeux, j’avais l’impression d’être à poil, cela dit, trois heures après, je l’étais, et pour la première fois depuis longtemps, je n’avais plus peur de l’âge de mon corps, de ma peau qui commence à se relâcher, quelle nuit Emma, quelle nuit, et après, après qu’il m’a fait l’amour deux fois, à son âge !, presque



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