Dégels by Julia Phillips

Auteur:Julia Phillips [Phillips, Julia]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Autrement
Publié: 2019-11-15T00:00:00+00:00

Février

Revmira se réveilla avec la conscience qu’on était le 27 février. Cette date l’accabla. Elle s’habilla lentement, tristement, sous son poids, et se rendit dans la cuisine où son mari faisait chauffer leur café. « Bonjour », dit-elle.

« Salut », fit Artyom, et elle devina à la ligne de ses épaules que lui aussi savait quel jour on était.

Elle sortit le fromage et le jambon pour le petit-déjeuner. Pendant qu’elle préparait deux assiettes sur le plan de travail, il versa le café. La petite cuiller fit un bruit métallique lorsqu’il remua le sucre dans la tasse de Revmira. Ils étaient ensemble depuis vingt-six ans, presque la moitié de l’existence de Revmira, et sa gentillesse la surprenait encore. C’était l’homme le plus facile qu’elle ait jamais connu. Mais bon, elle n’en avait connu que deux.

« Bien dormi ? », demanda-t-il.

Elle haussa les épaules, posa leurs sandwichs sur la table, et prit place. « Tu es de service, aujourd’hui ?

— De midi à minuit. » Bientôt, il allait retrouver le reste de son équipe de secours, empiler leur matériel, se préparer à un possible vol urgent vers les montagnes, les glaciers ou le large, mais pour l’instant, il avait l’air tout chiffonné dans son tee-shirt. Il n’était pas encore rasé. Derrière lui, la fenêtre de la cuisine laissait voir un ciel dégagé.

Elle avait dormi d’un sommeil lourd et opaque. Elle n’avait pas rêvé de Gleb. Pendant des années, après l’accident, elle rêvait de lui – Gleb lui rendait visite dans sa maison d’enfance ; lui faisait des cadeaux pour son anniversaire ; la conduisait sur la route cahoteuse après la sortie de la ville jusqu’aux rives noires et sablonneuses de l’océan. « C’est impossible », lui disait-elle. « Je sais », répondait Gleb, et il changeait de vitesse. Elle voulait dans le rêve lui toucher la main mais avait peur de le distraire pendant qu’il était au volant.

« Il va faire doux. »

Elle leva les yeux de son assiette. « Ah bon ?

— Presque zéro.

— Ça ne m’étonne pas. Tu prends toujours les meilleurs jours. Tu vas sûrement passer la journée en pique-nique.

— Et manger des glaces dans la neige. Ben voyons. Plus de chance qu’on soit appelés à midi pile pour secourir un inconscient qui aura pris un coup de soleil en faisant du hors-piste.

— Sois prudent, en tout cas », dit-elle. Il la regardait toujours.

« Avec un temps pareil, possible que l’hiver soit court. Le lieutenant Ryakhovsky a envoyé un texto ce matin. Ils veulent que nos bateaux draguent le fond de la baie après le dégel, pour voir si on retrouve les sœurs. »

Le pain était sec dans la bouche de Revmira. « Il ne m’a jamais rappelée.

— Je l’ai relancé sur le sujet. Il n’a pas répondu.

— C’est un branleur. »

Artyom lui sourit. Son expression creusait ses rides.

« Tu lui as parlé de la fille d’Alia ?

— Je lui ai tout dit, dit Artyom. Il ne bouge pas de la ligne officielle : le major général veut l’approbation du ministère pour une nouvelle série de fouilles sous-marines.

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