Alexandre Millerand by Jean-Philippe Dumas

Alexandre Millerand by Jean-Philippe Dumas

Auteur:Jean-Philippe Dumas [Jean-Philippe Dumas]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: CNRS
Publié: 2022-04-28T11:41:34+00:00


L’acte d’achat signé, elle fit visiter le local à Olga.

— Je suis certaine que tu sauras « russifier » cette pièce sans charme !

Avec le contremaître, elles réfléchirent aux couleurs à privilégier. Les noms des mélanges seraient inscrits en français et en caractères cyrilliques sur les boîtes de tôle noire. En prévoyant un délai raisonnable pour les travaux, la boutique pourrait ouvrir avant Pâques. Olga ne manqua pas de raconter cette nouvelle aventure à Juan.

— Avez-vous pensé aux vitrines ? demanda-t-il.

— Pas encore.

Le sujet fut abordé au cours d’un déjeuner chez Igor et Tatiana.

— Nous devrions changer fréquemment les devantures, suggéra Olga. Comme si l’on racontait une succession d’histoires aux passants.

En s’écoutant parler, elle songeait aux années fastes quand, dans les avenues pétersbourgeoises, elle s’attardait devant des saynètes animées qui l’enchantaient.

— En attendant, buvons à l’expansion de Gavril, proposa leur hôte.

Valentine leva son verre de vodka. Qu’Igor l’encourageât lui faisait chaud au cœur. Le couple qu’ils formaient avec Tatiana était réconfortant. S’ils se disputaient pour des broutilles, ils demeuraient indéfectiblement liés. Lorsque l’un avait décidé de quitter la Russie, l’autre l’avait suivi sans discuter. Incapable de comprendre la langue française, Tatiana s’était tout d’abord sentie perdue, dépassée. Pour ne pas faillir à l’éducation de leurs deux enfants, elle avait pris des cours au sein d’une association et, peu à peu, trouvé sa place. Certes, Igor fréquentait plus qu’elle ne l’aurait souhaité des cabarets dont il rentrait passablement éméché. De qui s’approchait-il dans ces endroits ? Elle ne cherchait pas à le savoir. Leurs fils devenus adultes, elle pouvait davantage s’épanouir, organisait des spectacles caritatifs, regroupait des livres pour la bibliothèque, trouvait des locaux pour des chorales. Le soir, quand elle refermait la porte sur l’extérieur, il arrivait que la Russie de sa jeunesse reprît ses droits. Dans son cœur, elle conservait les souvenirs d’hivers enneigés, de troïkas traînées par des chevaux dont les grelots résonnaient dans la nuit, de chants qui naissaient spontanément au gré des rues moscovites…



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