Abdulrazak Gurnah by Adieu Zanzibar

Abdulrazak Gurnah by Adieu Zanzibar

Auteur:Adieu Zanzibar [Adieu Zanzibar]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Au fur et à mesure que tous trois grandissaient, l’opinion que leurs parents avaient d’eux se renforçait. Ils voyaient dans l’ensemble Amin et Rashid comme on les a décrits plus haut, traçant leur chemin dans la vie avec les atouts qui étaient les leurs. Farida, de son côté, représentait un vrai souci, en particulier pour leur mère. Elle était facile à vivre (paresseuse) et toujours souriante (idiote). Sans autre ambition apparemment que de s’amuser avec ses amies ou de rendre visite aux voisins dans leur vieille maison qui tombait en ruine. La mettre à ses devoirs du soir était un calvaire que sa mère s’était donné pour tâche d’endurer. Elle usait de menaces et, quand cela restait sans effet, de cajoleries, et, si les résultats n’étaient qu’en partie concluants, elle s’asseyait avec elle et faisait plus ou moins le travail à sa place. « Ce monde n’est pas tendre pour les femmes qui ne se prennent pas en mains », disait-elle à sa fille, qui la regardait d’un air tragique car elle savait que c’était ce qu’on attendait d’elle quand sa mère lui parlait du sort difficile réservé à son sexe. Lorsqu’on lui rendait sa liberté, elle était tout sourire et prête à faire le tour des voisins ou à aller s’asseoir bavarder avec qui le voulait bien. Elle adorait papoter et, quand elle n’avait personne à qui parler, elle s’adressait à un polochon ou à un parapluie ou à une chaise vide. Elle était même heureuse d’aider aux travaux ménagers, et parfois réussissait à converser avec les objets qu’elle nettoyait ou lavait. Cela seulement lorsqu’elle était seule, ou qu’elle croyait l’être. Sa mère lâcha du lest avec le temps. Elle avait dû, pour sa part, travailler dur pour devenir enseignante, et elle avait du mal à cacher sa déception de voir le manque d’intérêt de sa fille pour les études.

Arriva le temps où Farida finit l’école, ou plutôt où l’école en finit avec elle. Elle avait treize ans. Elle échoua à l’examen d’entrée au collège de jeunes filles, seul établissement d’enseignement public de la ville, et de toute l’île, et du pays tout entier, qui compte plusieurs îles et une population d’un demi-million d’habitants. Chaque année, des centaines, des milliers de jeunes filles se présentaient à l’examen, et seules trente étaient reçues. C’était, pour la plupart d’entre elles, le premier et le dernier examen de leur scolarité. Le nom des élèves reçues était lu sur les ondes de la radio nationale, afin que la nouvelle se répande aussi vite que possible dans tous les recoins de ce minuscule pays, mais c’était aussi pour marquer l’importance de leur réussite. L’on s’asseyait dans un silence tendu autour du poste de radio, et le speaker égrenait les noms de la voix solennelle avec laquelle on annonce la mort d’un personnage éminent. Farida fut parmi les milliers de celles dont le nom ne fut pas prononcé.

Bien que ne s’étant jamais spécialement bagarrée pour figurer parmi les rares élues, elle éprouva un violent sentiment d’injustice et de colère à avoir été recalée.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.