3 by Le Souverain

3 by Le Souverain

Auteur:Le Souverain [Souverain, Le]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2020-07-07T12:56:42+00:00


17. Le « je » nucléaire

L’apocalypse nucléaire, Charles de Gaulle n’en excluait pas l’éventualité — ou du moins faisait mine de ne pas tout à fait l’exclure. Recevant, en juillet 1959, Francis Perrin, haut-commissaire à l’énergie atomique qui tentait de le détourner de passer de l’effort nucléaire à l’aventure thermonucléaire, le président de la République déclara, pour justifier la décision qu’il venait de prendre : « Perrin, la guerre atomique aura lieu. Je ne la verrai pas, mais vous, vous la verrez (1). » Le général avait alors 68 ans, Francis Perrin 54…

Sondage ? Provocation ? Prophétie ? Aucune de ces hypothèses, pas même la plus réductrice, ne saurait conduire à remettre en cause cette donnée centrale de la stratégie gaullienne : que la possession de l’arme atomique était, à partir du milieu du XXe siècle, plus qu’un symbole, l’atout essentiel de l’indépendance nationale. Pas d’État décideur sans l’arme suprême. Pas de souveraineté sans la terreur qu’inspire le souvenir d’Hiroshima. Pas de défense « nationale », et par là pas d’initiative diplomatique, sans possibilité de recours autonome au feu nucléaire.

Entre de Gaulle et la bombe, s’établit une convergence impérieuse. Tout ce qu’il a voulu être, tout ce qu’il a été — et tout ce qu’il a souffert de ne pas avoir — exige qu’il se dote de cet atout irremplaçable. Le feu nucléaire est consubstantiel au gaullisme d’État, comme le principe d’indépendance et la suprématie du décideur.

Si les justifications stratégiques et diplomatiques lui avaient manqué pour faire de « sa » bombe la colonne vertébrale de l’indépendance française, le principe d’unicité, de centralisation suprême de la décision l’eût, en son esprit, imposée : comment mieux manifester que, s’agissant de la sauvegarde de la nation, Charles de Gaulle était seul maître à bord ? Comment réaliser mieux l’objectif central du gaullisme : donner à de Gaulle les moyens de faire la France libre ?

Nul mieux, ou plus vite que lui, n’avait compris le « pouvoir égalisateur » ou niveleur de l’atome ; et nul plus que lui n’en tira la conclusion que cette arme ultime était de nature à faire, de la nation qui la détenait et pour peu qu’elle affiche sa détermination d’y recourir, un sanctuaire inviolable ; et que celui qui, dans la nation, était investi de la décision d’en user devenait un être unique, un personnage solitaire comme le vrai chef doit être, doté d’un pouvoir sans partage, insécable, a-tomique dans le sens le plus profond du mot. Dans une France inviolable, un de Gaulle inégalable. Voilà réalisé le rêve absolu. Pas de Jupiter sans foudre. Sans Jupiter, que serait la foudre ?

La possession du feu nucléaire accomplit le projet gaullien. Mais elle ne procède pas de son système. Dès avant la prise en charge de l’État par le fondateur de la Ve République, la bombe atomique française était en gestation. Si impérieuse en paraissait sa nécessité que la IVe République — la molle, l’indécise et plurielle IVe — avait lancé le pays dans cette aventure de haute mer.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.