1423-Retour en avant by Morris Gilles

Auteur:Morris, Gilles [Morris, Gilles]
La langue: fra
Format: epub
Tags: FNA, Anticipation
Éditeur: Fleuve Noir
Publié: 2015-03-05T23:00:00+00:00

CHAPITRE VII

Prévisible parce que logiquement inscrite dans le programme de réduction des îlots de résistance au régime commencé avec la répression sauvage des grèves et la destruction pure et simple des quartiers déclarés insalubres, la campagne anticarvilles démarre en même temps qu’un hiver qui, d’après tous les pronostics, ne devrait pas être tendre.

Arnold Becker lui-même prend la parole à l’Holo Nationale pour promettre la plus grande indulgence à tous ceux, à toutes celles qui se rendront, de leur plein gré, aux forces gouvernementales chargées d’assurer leur transfert dans des centres d’hébergement provisoires déjà préparés à leur intention.

— À chaque époque ses rigueurs et celle-ci, comme toutes les périodes transitoires, aura les siennes…

Ça lui va bien, au Premier Édile, de parler des « rigueurs » de l’époque ! Il a changé, du reste, Arnold Becker, depuis la dernière fois où, le temps d’une occasion manquée, je l’ai tenu dans le collimateur d’une carabine de précision. Grossi, probablement. Mais il a toujours été bien en chair et sa métamorphose va beaucoup plus loin qu’un simple changement physique. Par tous les pores d’une peau qui luit du bien-être et de la satisfaction d’envelopper un tel bonhomme, il transpire l’autorité, la joie d’occuper enfin cette position qu’il a si longtemps briguée, avant de l’obtenir. Il est, jusqu’au bout des ongles, le Premier. Le Seul. Celui qui commande à tous les autres. Celui qui dicte. Le dictateur. Au sens le plus vaste et le plus plein du terme.

Et quel comédien ! Tu jurerais qu’il pense ce qu’il dit, quand il enchaîne sur « les rigueurs de cette époque transitoire » :

— Rigueurs toutes relatives puisqu’elles consisteront, surtout, dans la nécessité de séjourner, jusqu’au printemps, à l’intérieur de ces enclaves où toutes les conditions d’hygiène, de prévention et de traitement des maladies seront mises en œuvre pour que cet hiver annoncé terrible, d’ores et déjà, par nos services de météorologie, se brise les dents sur le rempart de notre prévoyance ! Se révèle… pour la première fois… incapable d’opérer la triste récolte qui serait, qui sera votre lot, habitants des carvilles, si vous vous obstinez à tenter de survivre, un hiver de plus, dans ces cimetières industriels d’un passé révolu… lamentable… qui pour tant des vôtres, sont devenus, déjà… deviendront, si nous n’agissons pas… d’authentiques cimetières !

Sa trogne bien nourrie se convulse, je le jure, à l’idée que se réaliseraient, que se réaliseront les prédictions qu’il continue d’égrener, dans le même registre chargé d’émotion :

— N’attendez pas… n’attendez pas d’y mourir de faim et de froid… N’attendez pas que l’hécatombe commence par les plus “vulnérables d’entre vous… vos enfants… Ne nous obligez pas à venir vous chercher… pour votre bien… dans ces immenses poubelles… dans ces amas excrémentiels, vestiges d’une civilisation monstrueuse… qui avant la fin de cet hiver rigoureux, ne seraient plus que nécropoles… tombeaux collectifs pour des milliers d’entre vous !

Nous sommes chez Manson, au premier étage du car-hôtel de ville, et quels que soient nos sentiments profonds, les regards qui s’échangent entre Phil,

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