106 - On liquide et on s'en va (1981) by San-Antonio

106 - On liquide et on s'en va (1981) by San-Antonio

Auteur:San-Antonio [San-Antonio]
La langue: fra
Format: epub
Tags: San-A
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


CHAPITRE CÈPE

(Dédié à la Bordelaise)

Une lueur indigo embrase le ciel bleu de nuit (et pour cause !).

Le feu !

Je vois galoper des Blacks presque nus, sur la route. Armés de seaux et autres récipients emplis d’eau, ils foncent vers l’incendie qui dévore la forêt, à la limite de Sassédutrou. Le sinistre mobilise la population du coin ; ceux qui veillaient ont secoué ceux qui dormaient et tout le monde se remue les fesses : hommes, femmes, enfants, moines, vieillards, chiens, cochons, couvées, singes savants, apprentis sorciers. Pompiers improvisés, ils cavalent en direction des flammes, dans la louable intention de les éteindre.

Je stoppe pour laisser déferler la horde des volontaires affairés.

Un jeune Noir, à gueule de prophète, le crâne rasé, vêtu d’un boubou plus lumineux que l’incendie, observe la scène, les bras croisés.

— Qu’arrive-t-il ? lui lancé-je.

Il hoche la tête et, d’une voix mélodieuse et antidérapante, déclare :

— Un incendie, consécutif à un accident de voiture.

Mû par un pressentiment, je coasse :

— Un accident de voiture ?

— Un automobiliste trop pressé a voulu quitter la route pour emprunter le chemin que vous apercevez sur la droite. Il s’y est pris de telle sorte que, déséquilibré, au bout de quelques centaines de mètres parcourus en louvoyant, il a fini par percuter un arbre. Son véhicule s’est enflammé sous l’impact, communiquant le feu à la forêt. Comme toujours en pareil cas, les pompiers tardent...

L’intellectuel ivoirien hausse les épaules.

— Ce chemin n’est pas destiné à la circulation automobile, mais aux seuls piétons, il est navrant de voir un maladroit s’y engager avec tant de fougue et d’inexpérience.

— Le conducteur a du mal ?

— Je n’en sais trop rien, mais si la chose vous intéresse, vous pouvez toujours vous enquérir sur les lieux du sinistre.

Je prends note de son conseil et, abandonnant provisoirement mes deux amis, m’élance à travers la foule.

Pour tout te dire, et surtout ne rien te cacher, la vision, quoique dantesque, est également féerique.

L’auto s’est jetée à l’assaut de l’arbre un Pechiney Kuhlman à terme de toute beauté, en hausse tu parles ! Ayant explosé, elle a pris feu, les flammes se sont emparées du tronc (pour le denier du trou du culte), puis communiquées au feuillage. De là, elles ont agressé les arbres avoisinants. Si bien que pour l’instant, le feu ne touche pratiquement pas le sol ; il festonne à trois mètres de hauteur, ce qui est insolite, d’un très joli effet, mais rend les rudimentaires moyens de lutte inefficaces.

Le brasier dégage une telle chaleur que je ne peux demeurer sur place très longtemps. Les bons Noirs s’agitent en s’égosillant, se hissant de leur mieux pour virguler de dérisoires seaux d’eau qui leur retombent sur la frite.

Une nouvelle fois je m’efforce d’approcher l’auto. Elle est presque translucide dans le feu. En y regardant attentivement, j’aperçois une forme humaine au volant, minuscule déjà, réduite par la combustion. Stromberg a eu une fin digne de sa vie. Le tragique appelle toujours le tragique, à croire que le sort ratifie les actes d’un homme en lui réservant une mort en rapport avec l’existence qu’il a menée.



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