097 - Si ma tante en avait (1978) by San-Antonio

097 - Si ma tante en avait (1978) by San-Antonio

Auteur:San-Antonio [San-Antonio]
La langue: fra
Format: epub
Tags: San-A
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


CHAPITRE HUIT

UNE NUIT À NE PAS METTRE

UN BROUILLARD DEHORS

La scène est déroutante.

Imagine la salle à manger des Julien Liauradéshome ; made in Galerie Barbeck de Quimper. Méléas et Palissandre ! Au mur, des chromos de toute beauté que ça représente des marines. Sur la desserte, un voilier dans une bouteille, genre brick goélette à deux mâts, bien entendu. Le dossier des chaises est en tapisserie. Sur la table, le couvert est dressé. Il y a une petite fille de cinq ans environ qui grignote des biscottes qu’elle a préalablement tartinées de beurre avec son pouce. Sur le parquet dûment fourbi, la dame du gars Julien. A cause de sa posture, elle ressemble à ces tracés à la craie que nous autres, gens de police, dessinons pour délimiter les contours d’un cadavre, et qui font si bien sur une couverture de roman policier. Elle est étendue sur le côté, ses jambes composent un mouvement de vélocipédiste en action. L’un de ses bras est dans le prolongement de son corps, tandis que l’autre est resté en parade devant son visage. Elle porte une ecchymose à l’œil gauche. Elle a un couteau enfoncé dans le flanc et je te parie le machin de l’autre jour contre ce que je t’avais promis à Noël que la lame, dirigée de manomètre, s’est plantée pile dans le cœur de la personne.

L’époux veuvifié pousse un hurlement de Croc-Blanc qui a reconnu son maître. Il se précipite vers la défunte en criant :

— Madeleine ! Mon aimée, ma chatte bleue, ma grenouille, mon ange, ma tulipe, fleur de mes jours, mon doux rêve, ma perle !

Que je dois m’arc-bouter pour le contenir, pas qu’il touche au corps, ce con, et surtout au couteau. Mais il m’échappe et c’est le propice Bérurier qui le calme d’une manchette au plexus, hou là là ! Alors il titube, et on l’affale (Je suis le plus grand écrivain détransitifieur de la littérature française) dans l’unique fauteuil de la pièce, en cuir artificiel-lavable-qu’avec-les-enfants-on-ne-peut-pas-se-permettre-l’autre-qui-craint-tant. Il respire duraillement, Julien. Mais l’intensité de son chagrin le ranime. Et le voilà qui fonce dans les jérémiades. Une femme unique, compagne attentive et vigilante, toujours sur la brèche, répondant au téléphone, décachetant le courrier, gérant l’argent du ménage, battant elle-même les enfants, cuisinière hors-ligne sachant confectionner la soupe de poissons, les crêpes, amoureuse frénétique, pas suceuse, mais le coup de reins écopeur, parfaite chrétienne, adjointe au maire, d’une propreté maniaque, lavant son slip tous les soirs avant la prière, remplissant les feuilles d’impôt-et-comment-va-t-il-faire-à-présent ? Et puis morte, la chérie. Immobile à jamais, absente définitivement, soustraite à leur vie foyère, lui et les enfants, deux chérubins qui adoraient leur petite maman. Seigneur, qu’avez-vous permis là ? Pourquoi à moi ? Que vous ai-je fait pour mériter ? Ne suis-je pas un bon perceur de castagnettes ? Le meilleur de l’île, au dernier concours. Médaille d’or de Grenade, diplôme d’honneur de Malaga. Grand prix spécial du jury de Madrid ! Mais mon Jésus, alors quoi, merde, ça va pas la



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.