022 - Les doigts dans le nez (1956) by San-Antonio

022 - Les doigts dans le nez (1956) by San-Antonio

Auteur:San-Antonio [San-Antonio]
La langue: fra
Format: epub
Tags: San-A
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Je connais les gonzesses. Celle-ci est têtue comme une pleine écurie de mules. Son visage a une crispation qui en dit long sur son potentiel de volonté.

Je n’insiste pas.

— Bon, vous me ravagez le cœur, mon petit... Mais puisqu’il en est ainsi et qu'on ne peut rien contre la souffrance, je vais vous raccompagner chez vous...

Elle a un geste pour réfuter.

— Mais...

— Quoi ?

— Non, rien... Je vous remercie...

Elle prend place à mes côtés dans ma charrette.

— Où habitez-vous ?

— Rue du Général-Mégat-Laumane...

— Ça se trouve dans quelle zone ?

— Sur la route de Pont-de-Claix...

Nous voilà partis. Je roule doucement dans la nuit qui sent bon la terre mouillée et l’Alpe homicide.

Je bigle à la sauvette ma cliente. Elle paraît extrêmement crispée. Mon vieux renifleur me dit que l’homme à la Prairie qui l’a interpellée n’est pas un amoureux. C’est... autre chose ! Charlotte se comporte exactement comme si elle venait d’apprendre qui je suis et ce que j’attends d’elle !

Nous parvenons dans une rue bordée de jardinets modestes et de petites villas sans prétention.

— C’est ici...

Je stoppe.

— Vous ne m’invitez pas à prendre un verre ? risqué-je.

Elle reste impavide.

— Ce ne serait pas convenable, les voisins, vous comprenez...

A quelques mètres de là, je vois la grosse Prairie en station. Je ne sourcille pas, à quoi bon ?

La môme me tend la main, je lui malaxe un peu la dextre en lui gazouillant de la guimauve. Ça la fait à peine sourire. Elle louche elle aussi sur la grosse bagnole massive qui paraît somnoler dans l’ombre comme une grosse bête à l’affût.

Je quitte Charlotte et démarre après lui avoir resquillé un petit bécot (comme dirait Gilbert). Je double la Prairie en mettant pleins phares et je vois une silhouette s’accroupir sur le siège avant. Le chauffeur de la tire paraît aimer l’incognito. Bizarre, bizarre... Et c’est même d’autant plus bizarre que c’est étrange.

Ce citoyen m’intéresse. Il se peut certes que ce ne soit que l’amant de l’emmagasineuse de picaillons, pourtant un obscur pressentiment me fait croire que non. Ça doit être plus complexe. Pourquoi ce zouave pontifical éprouve-t-il le besoin de se soustraire à ma vue ? Parce qu’il me connaît ? Parce que je le connais ?

Je fonce dans la petite rue et tourne à droite. Je contourne le quartier et je reviens à l’angle de la route de Pont-de-Claix et de la rue du Général-Mégat-Laumane. Je laisse ma charrette fantôme sur la voie principale et je m’insinue dans la petite rue paisible.

Il y a de la lumière dans la maison de Charlotte. Elle n’a pas fermé les volets et, derrière un rideau, je vois deux ombres chinoises qui font du cinéma...

Je m’approche de la Prairie. Elle est vide maintenant. Je bigle la plaque d’immatriculation et je m’aperçois qu’elle est numérotée par la préfecture de la Savoie.

Les portes en sont fermées. Il n’y a plus de plaque de propriétaire au tableau de bord et c’est bien regrettable, mais grâce au numéro minéralogique, je n’aurai pas de mal à percer l’identité du mystérieux autant que tardif visiteur.



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