Wild by Cheryl Strayed

Auteur:Cheryl Strayed
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Arthaud
Publié: 2015-01-25T05:00:00+00:00

J’ai fini par m’endormir, cette nuit-là, dans la forêt à l’écart du camping de Whitehorse. Et j’ai rêvé de la neige. Pas de celle dans laquelle mon frère et moi avions tué Lady, mais de la neige que je venais de rencontrer dans la montagne, plus effrayante dans mon souvenir qu’elle ne l’avait été en réalité. Toute la nuit, j’ai rêvé de ce qui aurait pu se passer. Que je glissais le long d’une pente traîtresse, que je tombais d’une falaise, que je m’écrasais sur les rochers. Que je marchais sans jamais parvenir à la route, tournant en rond et mourant de faim.

Le lendemain matin, j’ai pris mon petit déjeuner en lisant mon guide. Si je rejoignais le PCT là où je l’avais prévu, je serais à nouveau confrontée à la neige. Cette idée me fichait la trouille. Heureusement, en étudiant ma carte, je me suis aperçue que j’avais une autre solution. Je pouvais redescendre au camping de Whitehorse et continuer vers l’ouest jusqu’à Bucks Lake. De là, je suivrais la piste de 4 x 4 qui montait au nord et croisait le PCT à un endroit appelé Three Lakes. Cet itinéraire représentait à peu près la même distance que le PCT, soit environ vingt-cinq kilomètres, mais à une altitude plus basse à laquelle je pouvais espérer ne pas trouver de neige. J’ai emballé mes affaires, repris le chemin par où j’étais arrivée la nuit précédente, et traversé d’un pas assuré le camping de Whitehorse.

Toute la matinée, alors que je prenais vers l’ouest en direction de Bucks Lake, puis vers le nord, puis à nouveau vers l’ouest le long de la rive pour atteindre la piste défoncée qui me ramènerait sur le PCT, je n’ai pensé qu’au colis qui m’attendait à Belden Town. Pour être plus précise, aux vingt dollars qui se trouvaient à l’intérieur. Et, pour être encore plus précise, à toute la nourriture et les boissons que je pourrais m’offrir avec. J’ai passé des heures entre l’extase et la torture, à fantasmer sur des gâteaux, des cheeseburgers, des bananes, des pommes, des salades composées et, plus que tout, de la limonade Snapple. Ça n’avait aucun sens. Les quelques fois où j’en avais bu dans ma vie d’avant le PCT, j’avais trouvé ça bon, sans plus. Ça n’avait jamais été ma boisson préférée. Mais voilà qu’elle me hantait. Rose ou jaune, peu m’importait. Il ne se passait pas une journée sans que je me représente dans les moindres détails le moment où je prendrais une cannette et la porterais à ma bouche. Certains jours, je m’interdisais même d’y penser pour ne pas devenir folle.

J’ai constaté que la route de Three Lakes n’était dégelée que depuis peu. D’immenses ornières la traversaient de part en part et la neige fondue formait des ruisseaux de chaque côté. J’ai marché sous l’épaisse canopée sans croiser personne. En milieu d’après-midi, j’ai ressenti un tiraillement familier au bas-ventre et compris que j’allais avoir mes règles. Pour la première fois depuis que j’étais sur le chemin. J’avais presque oublié que ça arriverait.

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