Une veuve de papier by John IRVING

Une veuve de papier by John IRVING

Auteur:John IRVING [Irving, John]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Le Grand Livre Du Mois
Publié: 1998-07-23T22:00:00+00:00


Ruth se souvient

de ses leçons de conduite

Cet après-midi-là, après avoir frappé ses coups longs, elle alla s’asseoir au bout du petit bain avec de la glace sur l’épaule pour lire La Vie de Graham Greene.

Elle aimait bien l’anecdote sur les premiers mots du petit Graham, « Pauvre chien », selon son biographe. Il s’agissait du chien de sa sœur, qui avait été renversé dans la rue. La nourrice avait glissé son cadavre dans le landau avec l’enfant.

« Tout petit qu’il était – commentait le biographe –, il dut avoir une conscience instinctive de la mort d’après la carcasse, l’odeur, peut-être le sang, ou la façon dont le rictus de la mort retroussait les babines du chien. N’eut-il pas un sentiment d’effroi, une nausée, à se retrouver enfermé, irrévocablement condamné à partager l’espace clos du landau avec un chien mort ? »

Il y a des choses pires, pensait Ruth. « Dans l’enfance, avait écrit Greene dans Le Ministère de la peur, nous vivons sous la clarté de l’immortalité – le ciel est aussi proche, aussi réel que le bord de mer. À côté des complications du monde se dressent ses simplicités : Dieu est bon, l’homme ou la femme adultes ont réponse à toutes les questions ; la vérité existe, et la justice est infaillible, réglée comme une pendule. »

Pas dans son enfance à elle. Sa mère l’avait abandonnée à l’âge de quatre ans ; Dieu n’existait pas ; son père ne disait pas la vérité, ou refusait de répondre à ses questions, ou les deux. Quant à la justice — il avait couché avec tant de femmes qu’elle en perdait le compte.

Sur l’enfance, elle préférait ce que Greene avait écrit dans La Puissance et la Gloire : « Il y a toujours un moment, dans l’enfance, où la porte s’ouvre pour laisser entrer l’avenir. » Ah oui, là, Ruth était d’accord. Sauf qu’elle aurait rectifié : pas un seul moment, plusieurs, parce qu’il n’y a pas qu’un seul avenir. Par exemple, il y avait eu l’été 1958, comme moment le plus flagrant, où la porte en question s’était ouverte pour laisser entrer l’avenir en question. Mais il y avait aussi eu le printemps 1969, le printemps de ses quinze ans, où son père lui avait appris à conduire.

Depuis plus de dix ans, elle lui demandait de lui raconter l’accident qui avait tué Thomas et Timothy ; il avait toujours refusé. « Quand tu seras assez grande pour entendre l’histoire, disait-il, quand tu sauras conduire. »

Ils conduisaient tous les jours, le plus souvent à la première heure, même les week-ends d’été, alors qu’il y avait foule dans les Hamptons. Son père voulait l’habituer aux mauvais conducteurs. Cette année-là, le dimanche soir, lorsque le trafic était engorgé sur l’autoroute de Montauk, dans la file de l’ouest, et que les gens en week-end trahissaient déjà des signes d’impatience – certains d’entre eux étant morts d’envie de rentrer à New York – Ted emmenait Ruth dans la vieille Volvo blanche. Il tournait dans le coin jusqu’à ce qu’il ait trouvé un « bel embouteillage ».



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.