Une histoire de tout, ou presque (Avec notes) by Bill Bryson

Auteur:Bill Bryson [Bryson, Bill]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Payot
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

Rien n’exprime mieux notre éloignement psychologique des profondeurs océanes que l’objectif affiché par les océanographes au cours de l’année internationale de Géophysique 1957-1958 : il s’agissait d’étudier « l’usage des océans profonds pour le déversement des déchets radioactifs[584] ». Il ne s’agissait pas d’une mission secrète, comprenons-nous, mais d’un objectif fièrement affiché. Bien qu’on ne l’ait pas crié sur les toits, le déversement de déchets radioactifs se pratiquait déjà, avec une vigueur assez révoltante, depuis une dizaine d’années. Les États-Unis avaient commencé dès 1946 à transporter des bidons de 200 litres de déchets aux îles Farallon, à une cinquantaine de kilomètres au large de San Francisco, où on les jetait tout simplement par-dessus bord.

Ces bidons étaient de ceux que l’on voit rouiller derrière les stations d’essence ou devant les usines, sans aucune paroi de protection. Quand ils ne sombraient pas assez vite, ce qui arrivait fréquemment, la Navy les criblait de balles pour y faire pénétrer l’eau (et en faire sortir du même coup le plutonium, l’uranium et le strontium)[585]. Avant que l’on mette fin à ces pratiques dans les années 1990, les États-Unis avaient eu le temps de déverser des centaines de milliers de ces bidons sur une cinquantaine de sites océaniques – dont presque 50 000 aux seules îles Farallon. Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls. Parmi d’autres enthousiastes déverseurs, on comptait la Russie, la Chine, le Japon, la Nouvelle-Zélande et à peu près toutes les nations d’Europe.

Et quel impact a pu avoir tout cela sur la faune et la flore sous-marines ? Eh bien, assez faible, espérons-le, mais en fait nous n’en savons rien. Nous sommes d’une ignorance stupéfiante, somptueuse, absolue de la vie sous-marine. Même les créatures marines les plus substantielles nous restent remarquablement peu connues, dont la plus puissante de toutes, la grande baleine bleue, un tel Léviathan que (pour citer David Attenborough) « sa langue pèse le poids d’un éléphant, son cœur a la taille d’une voiture et certaines de ses artères sont si larges que vous pourriez nager dedans ». C’est l’animal le plus gargantuesque que la Terre ait produit à ce jour, plus gros que le plus gros des dinosaures. Pourtant, la vie des baleines bleues reste pour nous nimbée de mystère. La plupart du temps, nous ignorons totalement où elles se trouvent – où elles se reproduisent, par exemple, et quelles routes elles empruntent pour s’y rendre. Le peu que nous savons sur elles, nous l’avons appris en écoutant aux portes : nous captons leurs chants, mais ils restent eux-mêmes un mystère. Les baleines bleues vont parfois interrompre un chant, puis le reprendre au même endroit six mois plus tard[586]. Parfois, elles lancent un nouveau chant qu’aucun membre de la troupe ne peut avoir entendu avant, mais que chacun connaît déjà. On ne comprend absolument pas comment elles font. Et encore s’agit-il d’animaux qui doivent remonter régulièrement en surface pour respirer.

Pour les animaux qui n’ont jamais besoin de refaire surface, l’obscurité est parfois totale. Considérons la mythique pieuvre géante. Bien qu’elle

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