Une breve histoire de l'avenir by Attali Jacques

Une breve histoire de l'avenir by Attali Jacques

Auteur:Attali Jacques [Jacques, Attali]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2006-11-24T05:00:00+00:00


La seule vraie rareté : le temps

La production d’objets marchands prendra de moins en moins de temps ; on en passera aussi de moins en moins à travailler, à cuisiner, à nettoyer, à manger. Au contraire, les produits mis sur le marché seront, eux, de plus en plus chronophages. Augmentera d’abord le temps de transport, avec la croissance de la taille de la ville. Il deviendra une sorte de temps-esclave où l’on pourra continuer à consommer et à travailler. On consacrera d’ailleurs de plus en plus de temps, au cours du transport, à communiquer, à intégrer des informations, à voir des films, à jouer, à assister à des spectacles. De même, il sera possible à beaucoup d’écouter de la musique, ou un livre enregistré, ou un spectacle vivant, tout en travaillant. La musique sera de plus en plus la grande consolatrice devant les chagrins, les deuils, la solitude, la désespérance.

Malgré ce temps contraint, beaucoup réaliseront qu’ils n’auront jamais le temps de tout lire, tout entendre, tout voir, tout visiter, tout apprendre : comme le savoir disponible double déjà tous les sept ans, et doublera tous les 72 jours en 2030, le temps nécessaire pour se tenir informé, apprendre, devenir et rester « employable », augmentera d’autant. Il en ira même du temps nécessaire pour se soigner et s’entretenir. Alors que ne changera pas le temps nécessaire pour dormir ou aimer.

Pour contourner cet obstacle, qui limite la consommation, l’Ordre marchand a d’abord incité à stocker les objets chronophages – livres, disques, films – de façon matérielle, puis, aujourd’hui, de façon virtuelle : empilements illimités, illusoires, sans plus aucune relation avec la possibilité d’en faire usage. Comme si ce stockage servait à donner l’illusion à chacun qu’il ne pourrait pas mourir sans avoir lu tous ces livres, entendu toutes ces mélodies, vécu le temps ainsi stocké. En vain. Les futures œuvres d’art tourneront d’ailleurs de plus en plus autour de ce thème du temps, devenu obsession.

On aura compris que le temps est, en fait, la seule réalité vraiment rare : nul ne peut en produire ; nul ne peut vendre celui dont il dispose ; personne ne sait l’accumuler.

On s’efforcera certes d’en produire un peu en allongeant encore la durée de vie humaine. On pariera sur une durée moyenne de cent vingt ans, sur une durée de travail de vingt-cinq heures par semaine.

Pour aller plus loin, il faudrait réussir à renverser des barrières a priori infranchissables en réduisant le temps mis à remplir les fonctions inhérentes à toute vie : naître, dormir, apprendre, se soigner, aimer, décider. Par exemple, il faudrait pouvoir faire naître un enfant en moins de neuf mois, ou lui apprendre à marcher en moins d’un an, à parler une langue en moins de trois mille heures.

D’aucuns découvriront alors que la liberté elle-même – objectif majeur de l’homme depuis les débuts de l’Ordre marchand – n’est en fait que l’illusoire manifestation d’un caprice à l’intérieur de la prison du temps.

Viendra alors la grande crise de cette forme.



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