Un monde sans travail ? by Tiffany Blandin

Auteur:Tiffany Blandin [Blandin, Tiffany]
La langue: fra
Format: epub
Tags: sciences humaines, politique, économie, travail, technologie
ISBN: 9782021370133
Éditeur: Le Seuil
Publié: 2017-08-23T22:00:00+00:00

Les porte-drapeaux du freelancing

Julie Brun et ses camarades de classe ont toutes les cartes en main pour y arriver. Ils détiennent des diplômes d’écoles reconnues, ont un épais carnet d’adresses et sont prêts à consacrer une grande part de leur vie au travail. Ce sont eux qui peuplent les espaces de coworking des grandes métropoles de la planète, qu’il s’agisse de véritables bureaux partagés, loués au mois, ou bien de cafés coworking, payés à l’heure. Ce sont eux encore qui se regroupent au sein de collectifs, afin de s’entraider et de travailler en équipe, et qui souscrivent aux offres que les mutuelles et les compagnies d’assurance ont lancées pour eux. Ce sont eux enfin qui ont participé à la Freelance Fair en mars dernier, un événement dédié à ce nouveau mode de travail. Volontaires, épanouis et libres, ils sont les porte-drapeaux du freelancing.

Et puis il y a tous les invisibles. Quand certains employeurs acceptent de mettre le prix pour faire travailler des freelance-entrepreneurs reconnus pour leurs compétences, d’autres choisissent d’utiliser la main-d’œuvre low-cost et ultraflexible qu’ils ont à leur disposition sur internet. Les plateformes généralistes comme Hopwork ou Freelance.com proposent ainsi plusieurs dizaines de milliers de ces travailleurs à la demande. Ces sites sont en quelque sorte le pendant « corporate » des plateformes de services à la personne, comme Uber pour le transport urbain, Deliveroo pour la livraison de plats, ou Stootie pour toutes sortes de petits boulots. Les premières offrent aux entreprises de réaliser leurs tâches « intellectuelles ». Les secondes aux particuliers des besognes manuelles.

Pour peu qu’une entreprise propose une mission réalisable par un anglophone, elle a accès à des millions de travailleurs sur le site américain Upwork ou son cousin australien Freelancer. Le fait que la recrue réside de l’autre côté de la planète importe peu : les logiciels de télécommunication en ligne permettent d’échanger aussi facilement que si elle se trouvait dans le bureau d’à côté. Sur ce grand marché mondial sans garde-fou, la loi de l’offre et de la demande s’applique dans toute sa froideur. Derrière leur ordinateur, les freelances sont trop nombreux par rapport au travail proposé. Les rémunérations fondent. Sur le site spécialisé redacteur.com, une entreprise propose par exemple 20,42 euros pour rédiger deux articles en français de 500 mots chacun, ce qui représente environ quatre heures de travail. 28 personnes ont postulé à cette offre.

Les auteurs de cette annonce ne manquent pas de culot. Les articles ont pour thème « le droit du travail et la défense des salariés ». Ironique quand on sait que Julie Brun doit facturer 550 euros la journée pour rentrer dans ses frais. Les freelances interchangeables d’internet vont donc gagner… treize fois moins. Cela revient à une moitié de Smic horaire, salaire minimum pourtant calculé pour des salariés dont l’employeur finance en partie la protection sociale, qui ont droit aux congés payés et maladie, et qui perçoivent un salaire régulier3.

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