Survivre dans la rue by Ann Webb

Survivre dans la rue by Ann Webb

Auteur:Ann Webb [Webb, Ann]
La langue: fra
Format: epub
Tags: essai, sciences humaines, sociologie
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2015-11-29T16:00:00+00:00


8.

La soupe de Saint-Eustache

Thomas voulait retourner au Royaume-Uni pour Noël – des amis l’hébergeraient pour les fêtes, et ça lui manquait de se trouver au milieu de gens parlant sa langue. Mais il était inquiet à l’idée de partir, parce qu’il avait presque tenu les quatre-vingt-dix jours qui lui permettraient de toucher l’allocation mensuelle de l’État français et donc de louer une chambre. Quitter le pays risquait de tout gâcher et de remettre le compteur à zéro.

Puis on lui a volé son sac de couchage, ce qui a fini de le convaincre de partir, quoi qu’il en coûte. Je savais que cela valait mieux pour lui – du moins ne serait-il pas dans la rue pour Noël. Il n’allait pas me manquer tant que ça : Thomas était juste un visage amical que je voyais de temps à autre à l’Agora… Pourtant, je me suis sentie bien plus seule, après son départ.

Un dimanche soir, affamée, je suis allée faire la queue à la soupe populaire de la gare de l’Est, celle que Thomas m’avait montrée. J’étais une des rares femmes à attendre le camion. Je n’avais pas remarqué qu’il y en avait si peu quand j’étais venue la première fois avec lui.

En général, deux ou trois camionnettes pleines de vivres arrivaient vers 19 h 45, mais ce soir-là, il n’en est arrivé aucune.

Des hommes se sont approchés et m’ont dit qu’il n’y aurait pas de distribution. Ils venaient d’Afghanistan. Respectueux, visiblement instruits, parlant bien l’anglais, ils ne m’ont pas paru dangereux, ce qui était curieux car j’avais développé une sorte de sixième sens concernant les loups, ce qui m’a sauvée plusieurs fois. Pourtant, ils étaient cinq ou six, et personne dans les parages ne se serait soucié qu’il m’arrive quelque chose.

Ils m’ont raconté qu’ils avaient un appartement, tout près, avec de quoi manger et se réchauffer. J’ai commencé à me sentir nerveuse. Ils m’ont demandé où je dormais. J’ai répondu : « À Montesquieu. » Mais ils ont senti que je mentais. Je me suis demandé s’ils avaient repéré qu’il m’arrivait de marcher toute la nuit. L’un d’entre eux m’a dit que je pouvais passer la nuit chez eux à une condition qui lui semblait raisonnable : « Juste sexe avec lui et avec moi, a-t-il dit en désignant un autre type. Et après, tu dors jusqu’au matin, pas de souci. » J’ai dit « non » et je suis partie d’un pas vif. Ils m’ont suivie et m’ont demandé où était le problème : j’étais américaine, non ? Ça signifiait que j’aimais le sexe, ils le savaient. Je découvrais, peu à peu, que cette image stéréotypée des Américaines est profondément installée dans la mentalité moyen-orientale. J’ai eu peur.

Pourquoi ne m’étais-je pas méfiée davantage ? Étais-je épuisée à ce point que mon instinct me trahissait ? Je me suis concentrée sur ma respiration, avant de leur débiter une histoire de rendez-vous avec une amie. Mais je bredouillais. Ils l’ont senti.

Leurs questions se sont faites pressantes. Je respirais très fort. J’étais presque à l’entrée du métro, au coin de la rue.



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