Sur les traces de Nives by Luca Erri de

Auteur:Luca, Erri de [Luca, Erri de]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Italienne
Éditeur: Petite bibliothèque virtuelle entre amis
Publié: 2011-10-23T13:03:52+00:00

(la lumière semée)

N : quand tu parles de l’Écriture sainte, je m’aperçois qu’il s’agit de rie plus intense, concentrée, placée sous une plus grande pression, et j’ai envie de faire la comparaison physique avec la haute altitude. Ici, j’ai un corps différent. Chez moi, je le perds dans les tâches domestiques, je l’oublie et lorsque je décide de m’entraîner je dois le retrouver, je le sens défait, distrait. Ici, il est compact, tendu. Chacune de ses parties a une valeur, comme les pieds, mais je fais aussi très attention aux yeux, je les protège de l’aveuglement du soleil sur la neige. Je ne retire mes lunettes que lorsqu’il fait noir. Nous sommes si fragiles que nous ne pouvons pas nous permettre de regarder cette lumière. Nous n’avons pas d’yeux pour la soutenir. C’est pourquoi, je pense à la haute altitude quand tu parles d’histoires saintes. Là aussi, des gens sont aveuglés par la révélation, par le contact rapproché avec une énorme source d’énergie.

Quand le soleil est monté au beau milieu du ciel, là-haut il peut faire très chaud. Dans la vallée entre Everest, Lhotse et Nuptse, au-dessus de six mille mètres, la température montait jusqu’à trente degrés. Sous la tente, nous étions en slip, dehors en tee-shirt et on transpirait après avoir retiré toutes nos couches de vêtements. Tu dois te mettre de la crème haute protection sur la peau exposée, le soleil est une caresse brûlante, il détache la peau par morsures. La haute altitude est violente, même lorsqu’elle montre son meilleur visage. La beauté est aussi violente qu’une tempête. Les alpinistes aiment le soleil, même avec sa force aveuglante et écorchante. Il arrive pourtant qu’ils négligent de se protéger, ce qu’ils ne feraient pas avec le vent, le brouillard ou le gel. Et pourtant, le soleil est tout aussi dangereux.

E : Le psaume 97 dit : « lumière semée pour le juste ». Il parle d’une lumière répandue par semence, une quantité de graines de lumières qui brillent. C’est une image qui ne pouvait venir à l’esprit qu’à ces furieux, appâtés par l’amour pour ce Dieu solitaire, à ces visionnaires excités par des visions. Leur image est parfaite, lumière semée, un fourmillement d’étincelles ardentes. Il nous arrive de plisser les yeux même dans l’épaisse obscurité où nous sommes.

Cette lumière, j’y ai goûté, et ce n’était pas celle destinée au juste du psaume, mais à un malheureux travailleur près d’une flamme oxhydrique. J’aidais un soudeur, lui avait des lunettes, moi non, j’essayais de regarder d’un autre côté tout en tenant les morceaux à souder, mais la flamme m’atteignait quand même. Au début, elle semble froide, puis elle donne la sensation d’une pluie d’épingles sur la pupille. La nuit fut à pleurer. Je coupai à l’aveuglette des tranches de pommes de terre crues et je les posai sur mes yeux chauffés au rouge. Je ne cessai de les changer jusqu’au matin. Ainsi se calma un peu de la brûlure, le jour suivant sur le chantier j’allais mieux. Le remède était ancien, mais valable.

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