Sur les dents (French Edition) by Olivier CYRAN

Sur les dents (French Edition) by Olivier CYRAN

Auteur:Olivier CYRAN [CYRAN, Olivier]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782348059308
Éditeur: La Découverte
Publié: 2021-03-10T23:00:00+00:00


Quand les fontaines du roi refoulent par le nez

Épouvantable, cet accident n’a pourtant rien d’exceptionnel. La pince est un outil à manier avec précaution, car, en forçant un peu trop sur une racine qui résiste, on peut assez aisément embarquer avec elle un fragment de sa base osseuse. L’histoire des soins dentaires est jonchée d’avanies de ce genre, y compris à des périodes plus récentes. Dans ses Récits d’un jeune médecin, parus en Russie en 1925, Mikhaïl Boulgakov décrit sa réaction d’horreur lorsque, contraint d’arracher en urgence la molaire infectée d’un soldat, geste auquel il n’était pas formé, il eut le malheur de se servir d’une pince :

« Quelque chose craqua bruyamment dans la bouche, et le soldat poussa un bref hurlement : “Oho-oh !” Après quoi toute résistance cessa dessous ma main, et mes pinces se trouvèrent expulsées de la bouche, serrant entre leurs mâchoires un objet blanc et ensanglanté. Je me sentis alors le cœur défaillir, car l’objet en question dépassait en volume quelque dent que ce fût, quand bien même c’eût été une molaire de soldat. D’abord je ne compris rien, mais ensuite je manquai éclater en sanglots : la pince étreignait bien, c’est vrai, une dent avec ses racines interminables, mais à la dent était pendu un énorme morceau d’os rugueux d’un blanc éclatant. “Je lui ai brisé la mâchoire”, pensai-je, et mes jambes fléchirent. […] Je lâchai le verre de permanganate et me précipitai sur le soldat avec des tampons de gaze pour tenter de colmater le trou qui béait dans la mâchoire14. »

Dans le cas de Louis XIV, le trou laissé par l’arrachage du fragment osseux communiquait directement avec les fosses nasales. Régulièrement, des reliefs d’aliments solides ou liquides remontaient par ce conduit et rejaillissaient littéralement par les narines. Les courtisans qui jouissaient de l’immense honneur d’assister au spectacle l’avaient baptisé « fontaines du roi », comme pour signifier urbi et orbi qu’il égalait les fastes d’un son et lumière dans les jardins de Versailles. Quant à moi, la scène m’évoque plutôt ce film avec Ben Stiller où la bien-aimée du héros, au beau milieu d’un dîner romantique, recrache tout à coup sa salade de crevettes par les narines, avant d’expliquer gaiement que ses cloisons nasales ont fondu sous l’effet d’une consommation intensive de cocaïne15. Ce qui tendrait à prouver que les « fontaines du roi » ont conservé leur pouvoir de divertissement.

Le Journal de la Santé du Roi, rédigé de 1652 à 1711 par ses trois premiers médecins (Antoine Vallot, Antoine d’Aquin et Guy-Crescent Fagon), nous renseigne avec prestance sur le niveau de technicité des soins odontologiques de l’époque. En janvier 1685 – Louis est alors âgé de cinquante-quatre ans –, d’Aquin note à propos de sa béance buccale : « Ce trou s’était fait par l’éclatement de la mâchoire arrachée avec les dents, qui s’était enfin cariée, et causait quelquefois quelqu’écoulement de sanie (matière purulente) de mauvaise odeur, d’autant qu’il n’était possible de reboucher ce trou que par l’augmentation de la gencive,



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