Sombre éclat by Jean-Marie QUEMENER & Jean-Marie Quéméner

Sombre éclat by Jean-Marie QUEMENER & Jean-Marie Quéméner

Auteur:Jean-Marie QUEMENER & Jean-Marie Quéméner [QUÉMÉNER, JEAN-MARIE & Jean-Marie Quéméner]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Plon


* * *

6. Fête de la Bière à Munich.

De poussière mélangée

Charles Ntchorere soupire et esquisse un sourire tout en même temps. Debout, seul, captif. La certitude de la mort l’effleure sans qu’il arrive à en chasser la pensée ni creuser en son for intérieur pour la découvrir entièrement. Elle apparaît au loin comme ces gros nuages noirs se vautrant les uns sur les autres, ronflant leur puissance qui annonçaient la pluie en rideau et la boue en paquets sur les rivages de Libreville. Il en sentirait presque le pétrichor sur la latérite. Et la mer au loin qui répondait en se voilant de gris et en envoyant quelques vagues aux cheveux blancs d’écume se rebeller contre la digue. Lui, l’homme de la forêt, a toujours rêvé d’océan, de liberté. Plus encore : d’évasion. Ce qui expliquait, en vérité, la principale raison de son engagement. Il se revoit gamin en culotte courte et sale assis sur le rocher mouillé qui délimitait le début de la jetée. Étrange, se dit-il, comme le trépas proche renvoyait au vivant et toujours au même : les émotions d’abord et les paysages ensuite, comme si l’homme se figurait son propre mausolée puis s’occupait à le meubler.

Il se retourne vers le tronc d’arbre et l’observe comme si sa vie ne s’accrochait qu’à ses branches. D’ailleurs, se dit-il, elle en dépend certainement. D’une certaine façon… Et pourquoi pas ? La superstition comme dernière échappatoire, un ultime recours… Il avait vu des soldats, avant de monter au front, embrasser des médailles, des colifichets-souvenirs envoyés par leur mère ou leur femme, parfois de simples bouts de bois taillés ou des pièces fétiches… Il se souvenait de l’un d’entre eux, un petit maigrichon nerveux comme une puce, plier soigneusement en quatre le revers de ses chaussettes en loques avant chaque assaut. Sans ces menus freins au désespoir, les pas de l’homme lui paraissent s’accélérer quand il arrive vers sa propre fin.

Il passe une main sur l’écorce. Ses doigts empruntent le chemin des veines fines du bois gris, désordonnées mais liées, dessinées comme au ciseau étroit d’un menuisier d’art. Les griffures de shrapnels-bouchers en cicatrices laissent à nu une chair d’un brun-jaune léger. Une brise vient agiter la cime émue de la compassion humaine et avertit que ses blessures guériront plus vite et plus sûrement que celles que ces êtres s’infligent.

La paume du capitaine rencontre une trace d’autrefois, un demi-cœur comme enfoui sous l’écorce, des initiales illisibles, marquées par une lame, ou une poigne, trop timide, ou trop impatiente ; frottées aux intempéries et au sable du temps.

Il sourit et se demande quelle pouvait être leur histoire, à ces deux-là. Des amoureux de passage sur le gué de l’adolescence ? Un couple perdu puis retrouvé, consumé d’un retour de flamme ? Un amant et sa maîtresse au détour ombragé et ombrageux d’une liaison secrète, une passion gravée désormais ? L’amour, peut-être plus encore que la vie, a besoin de se sentir immortel jusqu’à ses derniers instants, et malgré toute évidence, pour exister.



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