Solstice by José Carlos Llop

Solstice by José Carlos Llop

Auteur:José Carlos Llop [Llop, José Carlos]
La langue: fra
Format: epub
Tags: littérature espagnole
Éditeur: Éditions Actes Sud
Publié: 2016-09-14T22:00:00+00:00


Dans la vie du militaire majorquin – il y a dans l’île une grande tradition d’artilleurs et pendant la guerre contre Napoléon, l’École d’artillerie a été installée dans les murs de Montesión, où je serais plus tard élève des jésuites –, il y avait un équilibre entre la vie familiale et civile et la vie, la vocation, militaire. Notre vie dans la Batterie de Betlem était aussi une métaphore de tout cela. Tous les étés, nous habitions dans les maisons d’une possessió – un domaine – qui du fait de leur militarisation n’étaient pas délabrées, comme bien d’autres sur l’île, mais qui étaient toutefois marquées du sceau de la pauvreté et de l’improductivité. C’était un domaine côtier et inutile d’un point de vue économique – en général, cela constituait l’héritage des enfants cadets – et ce n’était pas exactement un domaine, mais un détachement militaire installé – incrusté – dans un ancien domaine livré aux brebis. Il n’y avait même pas d’oliviers, ni de figuiers, ni de vignes, comme à La Colonia, où elles caressaient presque la mer. Comme les tamarins de Caloscans. Seulement des agaves, des palmiers nains et des lapins malades de la myxomatose, immobiles au bord des sentiers et des chemins, attendant la mort, aveugles et hébétés. En fait d’amo et de missatges – fermier et valets –, il y avait un sergent et quelques soldats, mais quand on y arrivait et qu’on y vivait l’impression était la même. Pendant un fragment de vie – qui se répétait tous les ans –, j’étais cette maison, et cette terre et cette maison faisaient partie de moi, même si j’avais été élevé dans la négation radicale de l’adage « tu vaux ce que tu possèdes » (de ce point de vue, notre famille était bien peu méditerranéenne : on existait par soi-même et non par des biens matériels). Le séjour à Betlem renforçait, d’un côté, la poétique de la jouissance de l’inutile et, de l’autre, la vertu évangélique du détachement de toute richesse.

Tout comme les familles propriétaires de domaines avaient vu leurs terres changer de mains au fil du temps, nous vivions dans cette propriété spartiate et stérile comme si elle était à nous, pendant un fragment d’été, et en même temps nous savions qu’elle n’était pas à nous et nous n’espérions pas qu’elle le devienne. C’est pourquoi je ne me suis jamais demandé si elle cesserait de l’être un jour : je savais que même si nous y vivions comme si elle l’était, elle ne l’était pas. Mais le rythme des jours et des habitudes quotidiennes était, sinon identique, du moins semblable à celui de n’importe quelle petite possessió majorquine, hormis la préoccupation pour son présent et son avenir. Il n’y avait pas de fresques, ni de librairie – nom que l’on donnait ici aux bibliothèques privées, ce qui leur enlevait toute prétention –, ni loggia : les peintures de camouflage de la façade étaient les fresques de la maison, les livres de mon père et les miens



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