Soledad by Maria DUENAS

Auteur:Maria DUENAS [DUENAS, Maria]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2017-08-02T04:00:00+00:00

29.

Ils bavardaient une fois de plus dans la salle à manger gaditane des Fatou, sous les regards attentifs des ancêtres accrochés aux murs, avec des churros bien chauds sur la table et du chocolat épais dans les tasses de la dot de la jeune mariée. Mauro venait de leur annoncer son installation à Jerez.

– Je crois que c’est le plus raisonnable. De là, il me sera plus facile de négocier avec les acheteurs potentiels et de remplir les obligations liées à la transaction.

– Dites-nous, don Mauro, si ce n’est pas impertinent, demanda courtoisement Paulita, cette résidence que vous allez occuper, il y a tout ce qu’il faut ? Car si vous avez besoin de quoi que ce soit...

Elle se tourna vers son mari avant de finir sa phrase, comme si elle avait besoin de son accord.

– ... il vous suffira de nous l’indiquer, conclut ce dernier. Ustensiles, meubles, tout ce qui pourrait vous être utile et que nous pourrions vous fournir. Nous avons de tout, dans nos débarras : les décès de plusieurs membres de notre famille nous ont obligés à vider trois maisons dernièrement.

Dieu qu’il serait facile de répondre oui ! Accepter l’offre sincère du jeune couple, bourrer à ras bord deux charrettes avec fauteuils, matelas, vaisseliers, paravents, armoires qui restitueraient un minimum de confort à sa nouvelle maison si triste. Mais il valait mieux ne pas nouer de relations, réduire au maximum les engagements mutuels.

– Je vous en suis infiniment reconnaissant, mais il me semble que j’ai déjà beaucoup abusé de votre amabilité.

Il était revenu seul à Cadix la veille au soir, Santos Huesos étant resté dans la bâtisse de la rue de la Tornería. Fais attention, mon garçon, lui avait-il dit en lui donnant de l’argent avant de partir. Les billets pour La Havane avaient déjà largement entamé une large part de ses modestes capitaux, il avait intérêt à se réfréner.

– Sors dans la rue dès le lever du jour et essaie de trouver de quoi aménager deux chambres pour nous. Nous fermerons les autres à double tour. Cherche des gens pour le nettoyage, achète le nécessaire et jette un coup d’œil aux reliques laissées par les anciens propriétaires et qui pourraient encore servir.

– Je veux pas vous contredire, patron, mais on va vraiment vivre ici, vous et moi ?

– Que se passe-t-il, Santos Huesos ? Tu es devenu très délicat. Et où as-tu poussé, toi ? Ce n’était pas dans les pâturages de San Miguelito ? Et moi, dans une misérable forge ? Et les nuits de Real de Catorce passées en plein air à côté d’un feu de camp, tu les as oubliées ? Et, récemment, le trajet de Mexico à Veracruz avec les chinacos ? Dépêche-toi et arrête tes simagrées, tu ressembles à une vieille bigote, vaurien !

– C’est pas pour me mêler de ce qui me regarde pas, don Mauro, mais qu’est-ce qu’on va penser si vous habitez ce taudis, avec tous ces gens qui croient que vous êtes un millionnaire mexicain ?

Un millionnaire extravagant en provenance d’outre-mer, exactement.

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