Sidi by Arturo Pérez-Reverte

Auteur:Arturo Pérez-Reverte [Pérez-Reverte, Arturo]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Aventures, Roman historique, Espagne, Guerre, Arabes, Littérature espagnole
Éditeur: Seuil
Publié: 2023-03-28T09:38:25+00:00

Le corps pendait au gibet, où il allait rester jusqu’au coucher du soleil. Maures et chrétiens se retiraient sous leurs tentes quand Jakub al-Jatib s’approcha de Ruy Díaz.

– J’apprécie ce que tu as fait, Sidi.

– Je sais.

– Je sais que tu le sais… mais c’est un honneur de venir te le dire.

– Cela aussi je le sais.

Ils firent quelques pas jusqu’au fleuve. Seuls. Des lavandières étaient agenouillées sur la rive, quelques-unes d’entre elles le visage voilé, mais la plupart avaient seulement ramassé leurs cheveux dans des foulards. L’eau était trouble, d’une couleur terreuse. Plus loin pointaient les minarets de la ville.

– Mon seigneur Mutaman, que le Dieu des croyants le protège, a été tenu au courant de tout.

Là-dessus, le Maure guetta la réaction de Ruy Díaz, qui se contenta d’approuver du chef.

– Je m’en doutais, fit-il.

– Si je lui ai envoyé des messagers, c’est parce qu’il l’avait exigé. Il ne désirait pas intervenir, mais tout de même savoir ce qui se passait.

Ruy Díaz sourit à peine.

– Une sorte d’épreuve, et pour toi aussi ?

– C’est possible.

– Ton roi est un homme habile.

– Il l’est. Et il m’a chargé de te délivrer un message : ta façon de régler toute cette affaire l’a satisfait.

Ruy Díaz le regardait avec attention.

– Et toi, r’aïs Jakub ? finit-il par demander. Es-tu satisfait, toi ?

Le Maure passa une main dans ses courts cheveux blonds. Il semblait considérer la question.

– Je n’aurais pas fait mieux, dit-il enfin. Sur ma tête. Tu as donné l’exemple à tes hommes et aux miens. Qui sont aussi, maintenant, les tiens.

– Et toi, puis-je voir en toi un de mes hommes ? demanda le Castillan sans le lâcher des yeux.

Jakub al-Jatib mit la main sur le fuseau de son alfange, comme s’il la prenait pour témoin.

– Je te l’ai dit, Sidi… Aussi longtemps que mon seigneur Mutaman m’en donnera l’ordre, je te serai loyal. Pas un moment de plus, ni un de moins.

Ils suivirent en silence un chemin de halage. Deux barques de pêche glissèrent au fil de l’eau, vers l’aval, leurs voiles blanches triangulaires hissées. Quelques pas plus loin, le Maure se pencha pour cueillir un brin de fenouil, qu’il mit dans sa bouche.

– Mon roi m’a chargé d’une autre commission pour toi, annonça-t-il. Qui concerne l’argent.

– Je t’écoute.

– Mes hommes sont rétribués par notre seigneur, conformément à l’usage… Mais tu dois payer les tiens, et la première moitié de la somme est disponible, comme vous en êtes convenus. Avec les fonds nécessaires pour la campagne dans le Nord-Est.

– C’est une bonne nouvelle. Ses trésoriers vont me la remettre ?

Le Maure mastiquait la fine tige de fenouil sans se dépêcher de répondre. Au bout d’un moment, il la recracha.

– Mon seigneur, que Dieu éclaire, croit qu’il ne convient pas que l’argent passe de ses mains à celles d’une compagnie chrétienne. Du moins pas encore. Ce n’est pas par manque de moyens, bien entendu. Mais certaines formes doivent être respectées… tu comprends ?

– Je le pourrais si tu m’expliquais la suite.

Jakub al-Jatib porta son regard en direction de Saragosse.

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