Samarcande by Amin Maalouf

Samarcande by Amin Maalouf

Auteur:Amin Maalouf [Maalouf, Amin]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Publié: 2010-10-18T04:00:00+00:00


LIVRE TROIS

La fin du millénaire

Lève-toi, nous avons l’éternité pour dormir !

Omar KHAYYAM.

XXV

Jusqu’à cette page, j’ai peu parlé de moi-même, je tenais à exposer, le plus fidèlement, ce que le Manuscrit de Samarcande révèle de Khayyam, de ceux qu’il a connus, de quelques événements qu’il a côtoyés. Reste à dire de quelle façon cet ouvrage égaré au temps des Mongols a reparu au cœur de notre époque, au travers de quelles aventures j’ai pu en prendre possession, et, commençons là, par quel facétieux hasard j’ai appris son existence.

J’ai déjà mentionné mon nom, Benjamin 0. Lesage. Malgré la consonance française, héritage d’un aïeul huguenot émigré au siècle de Louis XIV, je suis citoyen américain, natif d’Annapolis, dans le Maryland, sur la baie de Chesapeake, modeste bras de l’Atlantique. Mes rapports avec la France ne se limitent pourtant pas à cette lointaine ascendance, mon père s’est appliqué à les renouveler. Il avait toujours fait preuve d’une douce obsession concernant ses origines. Il avait noté dans son cahier d’écolier : « Mon arbre généalogique aurait-il donc été abattu pour construire un radeau de fugitifs ! » et s’était mis à l’étude du français. Puis, avec émotion et solennité, il avait traversé l’Atlantique dans le sens inverse des aiguilles du temps.

Trop mal ou trop bien choisie fut son année de pèlerinage. Il quitta New York le 9 juillet 1870 à bord du Scotia ; il atteignit Cherbourg le 18, était à Paris le 19 au soir — la guerre avait été déclarée à midi. Retraite, débâcle, invasion, famine, Commune, massacres, jamais mon père ne devait vivre une année plus intense, elle resterait son plus beau souvenir. Pourquoi le nier ? il est une joie perverse à se trouver dans une ville assiégée, les barrières tombent quand s’élèvent les barricades, hommes et femmes retrouvent les joies du clan primitif. Que de fois, à Annapolis, autour de l’inévitable dinde des fêtes, père et mère évoquaient avec émotion la pièce de trompe d’éléphant qu’ils avaient partagée le soir du nouvel an parisien, achetée quarante francs la livre chez Roos, le boucher anglais du boulevard Haussmann !

Ils venaient de se fiancer, ils devaient se marier un an plus tard, la guerre avait parrainé leur bonheur. « Dès mon arrivée à Paris, se souvenait mon père, j’avais pris l’habitude de me rendre le matin au café Riche, boulevard des Italiens. Avec une pile de journaux, le Temps, le Gaulois, le Figaro, la Presse, je m’attablais, lisant chaque ligne, notant discrètement sur un calepin les mots que je n’arrivais pas à comprendre, « guête » ou « moblot », de manière à pouvoir, de retour à mon hôtel, interroger l’érudit concierge.

Le troisième jour, un homme à la moustache grise vint s’asseoir à la table voisine. Il avait sa propre pile de journaux, mais il la délaissa bientôt pour m’observer ; il avait une question au bout des lèvres. N’y tenant plus, il m’interpella, la voix enrouée, une main refermée sur la crosse de sa canne, l’autre pianotant nerveusement sur le marbre mouillé.



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