Quand d'autres hommes peuplaient la terre: Nouveaux regards sur nos origines by Jean-Jacques Hublin & Bernard Seytre

Auteur:Jean-Jacques Hublin & Bernard Seytre [Hublin, Jean-Jacques & Seytre, Bernard]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Sciences
Publié: 2011-02-07T23:00:00+00:00

L’évolution qui a conduit à l’apparition des Homo sapiens modernes a été l’objet d’une des controverses les plus passionnées d’une discipline qui n’en manque pas. Lorsque j’étais étudiant, la conception dite « polycentrique » de l’origine de l’homme moderne dominait. L’accumulation de fossiles tels que ceux d’Israël et l’irruption de la biologie moléculaire sur le terrain de l’évolution ont aujourd’hui quasiment imposé une vision monocentrique.

Héritée d’auteurs plus anciens, l’hypothèse polycentrique avait été mise en forme dans les années 1950 et 1960 par un anthropologue de l’université de Pennsylvanie, Carleton Coon, qui estimait que les grands groupes humains actuels avaient des origines différentes. Des populations locales d’Homo erectus avaient donné naissance à des Homo sapiens particuliers dans diverses régions du monde, ce qui expliquait les caractéristiques raciales de nos contemporains. Lorsqu’un âge de 100 000 ans environ avant le temps présent fut établi pour les hommes modernes anciens de Qafzeh et de Skhül, le versant européen de l’hypothèse polycentrique fut sérieusement ébranlé. Celle-ci intégrait en effet les néandertaliens, pourtant plus tardifs, dans l’évolution vers les Européens modernes.

Milford Wolpoff, paléoanthropologue à l’université d’Ann Arbor, aux États-Unis, est l’un des derniers tenants de cette « continuité multirégionale ». Au fil des années, il l’a aménagée en faisant intervenir des échanges géniques entre différentes lignées locales allant d’Homo erectus à Homo sapiens, échanges géniques qui auraient maintenu l’interfécondité des populations et la cohésion de l’espèce. Le nom erectus serait alors injustifié. Pour Wolpoff, notre planète n’aurait connu qu’une seule espèce d’hominines depuis au moins deux millions d’années, un Homo sapiens évolutif regroupant Homo erectus, l’homme de Néandertal (Homo sapiens neanderthalensis pour beaucoup d’anthropologues) et l’homme moderne (Homo sapiens sapiens). On dit souvent de ce modèle qu’il est en chandelier, un chandelier dont le socle serait la population originelle (la première sortie d’Afrique), et les bougies les groupes humains menant aux populations actuelles.

Au cours des années 1970, William White Howells, anthropologue à l’université Harvard, a mené une vaste étude comparative de populations humaines actuelles et récentes à l’aide d’outils statistiques sophistiqués qu’il a appliqués aux mensurations et à la géométrie crâniennes. Ses travaux montrèrent que la très grande homogénéité des hommes actuels et leurs différences avec des groupes anciens comme les néandertaliens étaient difficilement conciliables avec une évolution locale de populations archaïques. Howells proposa un modèle selon lequel les hommes actuels étaient apparus assez récemment dans une population bien délimitée et sans doute peu nombreuse, puis s’étaient répandus et avaient remplacé les populations anciennes régionales, hommes de Néandertal en Europe et les derniers Homo erectus en Asie. On dota ce modèle de noms bibliques où il était question d’« arche de Noé » ou de « jardin d’Éden ». Les découvertes de Qafzeh et la réinterprétation d’Homo sapiens fossiles africains par le paléoanthropologue Günter Bräuer de l’université de Hambourg semblaient désigner l’Afrique ou ses marges proche-orientales comme la localisation probable de ce jardin d’Éden.

Newsweek fit, en janvier 1988, une intrusion spectaculaire dans le débat sur les origines de l’Homme moderne en publiant à la une un pastiche du péché originel que n’aurait pas renié le Douanier Rousseau.

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