Pour une anthropologie anarchiste by David Graeber

Pour une anthropologie anarchiste by David Graeber

Auteur:David Graeber [Graeber, David]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782895967361
Éditeur: Lux Éditeur
Publié: 2018-01-16T16:00:00+00:00


Principes d’une science qui n’existe pas

VOICI UN APERÇU de quelques-uns des champs théoriques qu’une anthropologie anarchiste pourrait explorer.

Une théorie de l’État

Les États présentent un double caractère assez particulier. Ils sont à la fois des formes institutionnalisées de pillage ou d’extorsion et des projets utopiques. Le premier de ces deux aspects traduit la façon dont l’État est ressenti par toute communauté qui conserve un certain degré d’autonomie; le second, la façon dont les États tendent à être dépeints dans les documents écrits.

Dans un sens, les États sont des «totalités imaginaires» par excellence, et une bonne partie de la confusion que l’on trouve dans les théories de l’État réside historiquement dans l’incapacité ou la réticence à reconnaître ce fait. En général, les États ont été des idées, des façons d’imaginer l’ordre social comme quelque chose qu’on peut maîtriser, des modèles de contrôle. C’est pourquoi les premiers travaux connus de théorie sociale, que ce soit en Perse, en Chine ou dans la Grèce antique, étaient toujours formulés comme des théories de l’art de gouverner. Cela a eu deux conséquences désastreuses. L’une est d’avoir donné mauvaise réputation à l’utopisme. (Le mot «utopie» évoque d’abord l’image d’une cité idéale, habituellement à géométrie parfaite. L’image semble remonter à l’origine au camp militaire royal: un espace géométrique qui est entièrement l’émanation d’une volonté individuelle unique, un fantasme de contrôle total.) Tout cela a eu des conséquences politiques catastrophiques, c’est le moins qu’on puisse dire. L’autre conséquence est que nous tendons à supposer que les États et l’ordre social, ou même les sociétés, coïncident en grande partie. En d’autres mots, nous avons tendance à prendre au sérieux les affirmations les plus grandioses, même les plus paranoïaques, qu’ont pu faire des dirigeants du monde, supposant que, peu importe le projet cosmologique qu’ils ont prétendu poursuivre, celui-ci a vraiment correspondu, au moins dans ses grandes lignes, à quelque chose dans la réalité. Il est probable que, dans beaucoup de ces cas, ces prétentions n’aient été appliquées que dans un rayon de quelques dizaines de mètres autour du monarque, tandis que la plupart des sujets voyaient probablement les élites au pouvoir, au jour le jour, comme des voleurs et des prédateurs.

Une théorie adéquate de l’État devrait donc commencer par distinguer dans chaque cas entre l’idéal de gouvernement pertinent (qui peut être à peu près n’importe quoi: un besoin d’imposer une discipline de type militaire, la capacité de mettre théâtralement en représentation un mode de vie élégant qui soit une source d’inspiration pour d’autres, la nécessité d’offrir continuellement aux dieux des cœurs humains pour repousser l’apocalypse…), et les mécanismes de gouvernement, sans présumer qu’idéal et mécanismes se juxtaposent nécessairement. (Il peut y avoir des correspondances, mais cela doit être établi.) Par exemple: le mythe de l’«Occident» remonte en grande partie à la description qu’a faite Hérodote d’un choc historique entre l’Empire perse, basé sur un idéal d’obéissance et de pouvoir absolu, et les cités grecques d’Athènes et de Sparte, fondées sur des idéaux d’autonomie civique, de liberté et d’égalité. Ce n’est pas



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.