Polaris by Fernando Clemot

Polaris by Fernando Clemot

Auteur:Fernando Clemot [Clemot, Fernando]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2017-09-04T22:00:00+00:00


SIX

Je priai par bribes, affaibli, ma concentration émoussée par l’approche du sommeil. Cette nuit-là je dormis profondément, sans avoir le livre auprès de moi. Je ne me réveillai pas une seule fois : pas un bruit dans les chambrées, pas de vibrations dues aux machines, pas même le froid du couloir ni la chaleur lourde du radiateur de la cabine. Rien ne troubla mon sommeil pour la première fois depuis que nous avions quitté Bergen.

Après le dîner, j’avais parlé avec Mutter de la série d’entretiens de cette nuit-là. Il n’avait pas l’air inquiet : il me dit qu’il dormirait jusqu’à trois heures moins le quart et que vers trois heures il se rendrait dans les chambrées des marins qu’il devait interroger, à savoir Güstrow, Jorgensen et Valko, un des cuisiniers bulgares. On fuma ensemble sur le pont. Rysdal était avec nous. Je remarquai qu’il ne restait de la radio qu’un filet de musique agonisant. Un murmure languissant. Je demandai pourquoi à Rysdal, et il me dit qu’on avait presque perdu le signal. C’est une radio américaine, Radio Intercontinental, émise de Terre-Neuve. Maintenant, nous sommes seuls, docteur, et je suis presque heureux qu’on ait perdu ce maudit signal. C’était un martyre d’écouter à toute heure cette foutue musique qui nous empoisonnait. Cette fois, c’est mieux : comme si nous avions vraiment largué les amarres. Vous n’y aviez pas pensé ? Je lui répondis que je ne l’avais pas envisagé sous cet angle et en me dirigeant vers l’échelle, je passai devant un haut-parleur, au pied de la passerelle. On percevait encore un message infime, comme un faible chant de grillon dont le cri-cri aurait rappelé celui qu’on peut entendre par un beau soir d’été. Ce signal agonisant m’apportait peut-être un souvenir agréable des étés de mon enfance. Je m’immobilisai. Rysdal et Mutter continuaient de discuter, accoudés au bastingage. Ils semblaient étrangers à ma présence et j’étais toujours collé au haut-parleur. Par moments émergeaient un son plus clair ou une voix trouble, celle que peut avoir un homme quand on le noie, ce dernier râle qui s’échappe de sa gorge où ne gargouillent plus que les mucosités ou la salive.

Je m’éloignai des haut-parleurs et retournai au bastingage : j’étais surpris qu’il fasse moins froid que les soirs précédents. Le vent soufflait du sud-est et je pensai aux lieux qu’avait traversés ce courant d’air, des terres chaudes étrangères à ces mers de glace et de mort. Rysdal annonça qu’au petit matin on arriverait à Jan Mayen, et pendant quelques minutes on regarda en silence, malgré la brume, mais l’horizon ne semblait pas vouloir nous rapprocher de la terre.

Rysdal s’en alla et je reparlai des entretiens avec Mutter, mais il prétendit qu’il n’en était nullement inquiet. Je dirais même qu’il trouvait un certain attrait dans cette absurdité. Pendant quelques instants, mû par je ne sais quelle intuition, je faillis lui demander depuis quand il était au courant. Mais je n’osai pas poser la question. Je me mordis la langue et descendis dans ma cabine, de nouveau inquiet.



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